VARIÉTÉS

BORDELOISES

ou

E S S A I  HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET MODERNE  DU DIOCÊSE DE BORDEAUX

PAR

L'ABBÉ BAUREIN

TOME II

BORDEAUX

FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS

15 Cours de L'INTENDANCE

1876

 

 

Extrait :

 

 

Livre Quatrième

 

Article  I et III

 

Pages :268 à 275

            280 à 284                                                                  

Collection :

 

 

 

 

ARCHIPRÊTRÉ DE CERNES.

.

 

 

0n remarquera d'abord que cet Archiprétré étoit anciennement appellé de Sarnés, et que l'altération de ce nom suffiroit pour en obscurcir l'origine, et pour empêcher qu'on parvînt à en découvrir l'étymologie. Cette ancienne dénomination est composée de deux syllabes, dont la premiere Sar ou Sarn est la racine, et la seconde est la terminaison qui souvent est indifférente et sans signification. M. Bullet, dans son Dictionnaire de la langue Celtique, nous apprend que Sarn a signifié chemin, voie, pavé. Seroit‑ce de cette racine que dériveroit la dénomination de cet Archiprêtré? Ce qui viendroit à l'appui de cette étymologie, c'est qu'il existoit anciennement, tout comme à présent, plusieurs chemins ou grandes routes qui traversoient l'étendue de cette contrée ou de cet Archiprêtré.

 

Il est fait mention, dans l’Itinéraire d’Antonin, 1° d'une grande route qui conduisoit de Bordeaux à Jérusalem, et dont les deux premieres stations entre cette premiere Ville et celle de Bazas, étoient Stomatas et Sirione, dont il ne seroit pas difficile, si c'étoit ici le lieu, de retrouver l'ancienne position.

 

 

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                                               Il est question dans ce même Itinéraire, d'une autre grande route qui conduisoit de la province des Asturies à Bordeaux, en passant par Aquas Tarbellicas (aujourd'hui Dax), et de là, après quelques autres stations, à Salomacum (aujourd'hui Salles). Quoique la majeure partie de cette route traversât les grandes Landes, il n'est pas moins certain que pour se rendre de Salles en Buch à Bordeaux, il falloit traverser une partie du territoire de la contrée du Cernès.

 

On retrouve, outre cela, des preuves de l'ancienne existence d'un autre grand chemin public qui passoit dans cette contrée, et qui y avoit été pratiqué, selon les apparences, dans le temps que les Romains étoient les maîtres dans cette Province. Cette ancienne route est connue dans les titres sous la dénomination de chemin Galien. Fut‑elle ouverte par les ordres de l'Empereur qui portoit ce nom? C'est ce qu'on ignore : on sait seulement qu'il en subsiste encore des restes aux environs de la Paroisse de Labrede, et qu'il en est fait mention dans les anciennes chartres. Seroit‑ce de l'existence de ces :différentes routes dans la contrée où est établi cet Archiprêtré, que dériveroit son ancienne dénomination de Sarnès? C'est ce que nous n'oserions assurer d'une maniere positive.

 

Quoiqu'il existe encore à présent trois principales routes qui traversent l'étendue de cet Archiprêtré, celle de Toulouse, celle de Bayonne et celle qui conduit au Mont‑de‑Marsan, on ne s'apperçoit pas qu'elles influent en rien à la dénomination de la contrée où elles passent, ni qu'on ait tenté de lui donner le nom de route ou chemin, quoiqu'il y eût, ce semble, une espece de nécessité de désigner cette contrée par quelque dénomination particuliere. Que le mot Sarn ait signifié en langage Celtique, une voie, un chemin, ce ne seroit pas une raison pour donner cette dénomination à une contrée entiere, dont il n'y auroit qu'une petite partie consacrée à cet usage., On ne pense donc pas que le mot Celtique Sarh soit la ra

 

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                                          cine de Sarnés, ancienne dénomination de cet Archiprètré.

 

Ces mots in Sarnesio, employés dans les titres latins au sujet de cette contrée, nous font soupçonner qu'ils ne sont qu'une contraction de ceux-ci in Sarcinesio, c'est‑à‑dire, dans la contrée occupée ou ravagée par les Sarrasins. Le quartier de Sarcignan, dépendant de la Paroisse de Villenave placée dans cette même contrée, semble nous autoriser dans cette conjecture. Ce quartier offre encore à présent des restes sensibles du séjour, qu'y ont fait ces Barbares, dont le quartier lui‑même retient encore le nom.

 

En effet, si on se transporte dans la Paroisse de Villenave, qui n'est pas fort éloignée de Bordeaux, et au quartier de Sarcignan, qui en est beaucoup plus voisin, on y verra un mur d'une épaisseur assez considérable qui annonce une assez haute antiquité, et qui est appellé mur Sarrasin, soit dans les titres, soit par les gens de ce quartier. Il en sera question dans un article séparé. Il suffit maintenant d'observer qu'un parti de Sarrasins y avoit fixé anciennement son séjour. D'ailleurs, on retrouve encore des vestiges, dans d'autres endroits de cette contrée, de l’ancienne habitation qu'y ont faite ces Barbares. Il existe entre les Paroisses de Martillac et de Léognan, de très‑anciennes bornes, dont l'une est appellée borne Sarrasin, et l'autre roche Maurin; si ces barbares n'eussent pas établi leur habitation dans cette contrée, à quel propos ces bornes porteroient‑elles leurs noms? On n'insistera pas à cet égard, on observera seulement que si des personnes éclairées étoient attentives à d'anciennes dénominations de lieux qui subsistent dans les diverses Paroisses de cette contrée, ou qu'on retrouve dans les vieux terriers, on remarqueroit des vestiges du séjour qu'y ont fait les Sarrasins. Nous revenons souvent sur leur ancien séjour dans le Pays Bordelois, et nous sommes scrupuleux à en faire remarquer les traces, parce que c'est un fait qui jusqu'ici a été entièrement inconnu, et qui peut servir à rendre raison de bien de faits

 

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                                       anciens qui sans cette ouverture, continueroient à rester dans l'obscurité.

 

En proposant nos conjectures sur la dénomination de cet Archiprêtré, nous usons de la liberté accordée à tout Ecrivain, étant toujours disposé à nous rendre aux lumieres d'autrui et à souscrire à toute autre opinion qui se trouvera mieux fondée.

 

L'Archiprêtré de Cernès, qui est maintenant le troisierne du Diocese, n'en étoit anciennement que le cinquierne. Ceux de Buch et de Born, avant leur union, occupoient le troisierne et le quatrieme rang, et celui dont il est ici question, n'étoit que le cinquierne Archiprêtré. On ignore les raisons qui lui ont fait obtenir la priorité sur les deux autres; mais il est depuis long‑temps en possession de cette prérogative, dont nous ne cherchons pas à le dépouiller.

 

Tous les anciens titres s'accordent à donner à la contrée où cet Archiprêtré est situé la dénomination de terre gasque, dont on désire depuis long‑temps de savoir la signification. On se propose d'en, parler séparément et d'exposer ce que nous pensons sur ce point. Le territoire de cet Archiprêtré est situé, sur la rive gauche de la Garonne, dans l’espace qui existe entre la Ville de Bordeaux et celle de Langon : il s'étend depuis ce fleuve qui coule à son levant, jusqu'aux confins des pays de Born et de Buch qui le bornent vers le couchant. Cette étendue forme une espece de parallélogramme ou carré long d'environ huit lieues du nord au midi, c'est‑àdire de longueur, sur environ quatre lieues du levant au couchant.

 

Le chef‑lieu de cet Archiprêtré est la Paroisse de Saint‑Pierre de Gradignan, qui est placé plus près de Bordeaux que du centre du territoire sur lequel il s'étend. Le Curé de Gradignan a le titre d'Archiprêtre de Cernès. Il y a eu sans doute anciennement des raisons qui empécherent d'en atta­cher le titre à quelqu'autre Paroisse plus rapprochée du cen­tre du territoire sur lequel un Archiprêtre étoit, dans le prin

 

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              cipe, chargé de veiller. Les Archiprêtres faisoient anciennement la fonction de Vicaires forains, qui leur ont été substitués. Ils étoient donc obligés d'être placés à portée de veiller sur ce qui se passoit dans leur district. Comme les places ne sont pas toujours données à ceux qui sont les plus en état d'en remplir les fonctions, et que d'ailleurs les places, quelque distinguées qu'elles soient, n'ont pas la vertu de communiquer par elles‑mêmes, les qualités et les talens propres à s'acquitter des fonctions qui y sont attachées, c'est ce qui peut avoir donné occasion aux Archevêques de dépouiller par le fait les anciens Archiprêtres des fonctions qui étoient primitivement attachées à leurs places.

 

D'ailleurs, quelque mérite qu'aient pu avoir les personnes qui ont été dans le cas de remplir ces places, on comprend parfaitement que tout tend à la liberté, et que les' anciens

 

Archevêques ont été bien aises de n'être pas gênés dans la confiance qu'ils ont cru devoir donner à certains Curés, plutôt qu'à d'autres; c'est, selon les apparences, ce qui a donné lieu à la création des Vicaires forains chargés depuis un certain temps de l'exercice de la plupart des anciennes fonctions des Archiprêtres.

 

Dans l'état actuel des choses, il paroît assez indifférent que le chef‑lieu de cet Archiprêtré se trouve dans une des extrêmités de son territoire, ou qu'il soit placé dans le centre. Il pouvoit se faire que lors de l'établissement des Archiprêtrés, qui est ancien, cette contrée, ravagée ou occupée par les Barbares, qui ne se convertirent sans doute à la foi Chrétienne qu'après un certain temps, ne permit pas de placer ailleurs le chef‑lieu de cet Archiprêtré. Que ce soit donc cette raison ou quelqu'autre qui nous est inconnue, il est certain que le cas n'est pas sans exemple, puisqu'on a déjà vu que le chef‑lieu de l'Archiprêtré de Moulix étoît anciennement placé dans la Paroisse de Saint‑Médard en Jales, c'est‑à‑dire, vers une des extrêmités de son territoire, actuel,                     

                                                                                                         

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Liste des Paroisses de l’Archiprêtré de Cernés.

 

Saint‑Martin de Balizac.

Saint‑Symphorien.

Saint‑Christophe de Léogats.

Saint‑Vincent de Noalhan.

Saint‑Jean de Villandraut.

Saint‑Jean du Tuzan

Saint‑Jean d'Origne.

Saint‑Martin de Bommes.

Saint‑Pierre de Pujols.

Saint‑Pierre de Sauternes.

Saint‑Romain de Budos.

Saint‑Pierre d'Hostens.

Saint‑Léger.

Sainte‑Marie de Fargues.

Saint‑Martin de Landiras.

Saint‑Saturnin de Toulennes.

Saint‑Vincent de Preignac.

Saint‑Vincent de Barsac.

Saint‑Martin de Cerons.

Saint‑Martin de Guillos.

Saint‑Vincent de Podensac.

Saint‑Laurens d'Illats.

Sainte‑Marie de Virelade.

Saint‑Vincent de Portets.

Saint‑Hypolite d'Arbanats.

Saint‑Pierre de Saucats.

Saint‑Morillon.

Saint‑Clément d'Aygues‑Mortes.

Saint‑Michel de Bautiran.

Saint‑Michel de Riufreyt.

Saint‑Seve.

Saint‑Magne.

Saint‑Jacques du Barp.

Saint‑Jean de Villagrains.

Saint‑Martin de Cabanac.

Saint‑Martin de Castres.

Saint‑George de l’Isle.

Saint‑Jean de Labrede.

Sainte‑Marie de Martillac.

Saint~André de Sestas.

Saint‑Vincent de Canelan.

Saint‑Pierre de Cadaujac.

Saint‑Martin de Villenave.

Saint‑Pierre de Gradignan.

Saint‑Genès de Talance.

Saint‑Martin de Pessac.

Saint‑Pierre de Léognan.

Saint‑Pierre de Begle.

Saint‑Vincent de Lodors.

Saint‑Nicolas de Graves.

 

Nous plaçons dans la liste des Paroisses de l'Archiprêtré de Cernés, ces deux dernieres, qui, à proprement parler, n'en font qu'une, quoiqu'elles ne soient pas comprises dans aucun des pouilliés du Diocese, et c'est uniquement afin d'embrasser, dans cette liste, la totalité des Paroisses situées dans l'étendue de cet Archiprêtré. On n'ignore point qu'elles ne sont pas comprises dans aucune des Congrégations dont celui‑ci est composé; mais aussi le Curé n'est‑il pas censé être au nombre de MM. les Curés de la Ville. Ces deux Eglises sont.placées  en dehors de l'enceinte de Bordeaux, et c’est ce qui nous détermine à les mettre dans la liste des Paroisses de cet Archiprêtré.

 

    Si nous n'avons pas suivi l'ordre selon lequel celles‑ci sont placées dans les anciens pouilliés, c'est que le rang qu'elles y tiennent, ne nous a pas paru essentiel. D'ailleurs,

      

 

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s'il paroissoit tel à quelques personnes, on est libre d'y avoir recours au besoin; ces pouilliés ne sont pas anéantis, par là même que nous ne nous y conformons pas.

 

On n'a point fait mention, dans la liste qu'on vient de donner, de quelques anciennes Paroisses qui n'existent plus, mais dont on retrouve les noms, soit dans les anciens pouilliés, soit dans les lieves des quartieres de l'Archevêché, soit dans les anciens titres. On se propose d'en parler dans des articles séparés. Les pouilliés de ce Diocese font mention de quelques Prieurés situés dans l'étendue de cet Archiprêtré, dont on croit devoir insérer ici la liste.

 

1°Le Prieuré de Belin que le Pouillié général des Bénéfices de la France attribue à ce Diocese, et dont le Prieur, selon ce même pouillié, est Curé primitif de. Saint‑Exupere de Belin, de Saint‑Pierre de Sales, et de Saint‑Martin de Mons dans la contrée de Born : c'est l'extrait de ce pouillié qu’on insere ici ;  mais, comme ce pouillié est extrêmement plein de fautes, on croit devoir observer qu'au lieu de Mons, il faut lire Saint‑Martin de Mios, qui est placée dans la contrée de Buch, et non dans celle de Born. Ce Prieuré a pris naissance dans un ancien Hôpital pour les Pélerins, dont l'administration étoit confiée à un Prieur qui est devenu usufruitier de tous les revenus de cet Hôpital, depuis que les pèlerinages ont pris fin.

 

2° Le Prieuré de Beliet, actuellement uni au Séminaire de Saint‑Raphaël de Bordeaux, fondé par le Bienheureux Pierre Berland, près l'ancienne Eglise paroissiale de Saint‑Paul, qui fut unie à ce Séminaire, dans lequel cet Archevêque a fini ses jours. La chambre où ce saint Prélat décéda, subsistoit encore lors du transport de ce Séminaire dans le lieu où il est à présent; nous pouvons assurer l'avoir vue très‑souvent, et nous pouvons attester qu'elle annonçoit, par sa simplicité, celle dans laquelle ce Bienheureux Archevêque avoit été élevé, et dans laquelle il persévéra pendant tout le cours de sa vie.

 

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3° Le Prieuré de Camparrian, dont le titulaire étoit aussi administrateur d'un Hôpital fondé dans le lieu dont ce Prieuré porte le nom. Cet Hôpital a disparu depuis long‑temps, et est métamorphosé en Prieuré, dont le titulaire jouit à présent, sans autre charge, des revenus qui y étoient attachés, entr'autres, de la dime de la Paroisse de Saint‑Vincent de Canejan, dont ce Prieur est Curé primitif.

 

4° Le Prieuré de Bardanac étoit aussi, dans le principe, un Hôpital, dont l'administration étoit confiée à un Prieur. Il étoit Curé primitif de la Paroisse de Saint‑Martin de Pessac et de celle de Saint‑Pierre de Casaux dans le pays de Buch. Ce Prieuré fut uni au College des jésuites vers le commencement du siecle dernier, et il dépend maintenant du Bureau préposé pour l'administration du College de Guienne.

 

5° Le Prieuré de Cayac, uni au Monastere des PP. Char­treux de cette Ville, étoit aussi un ancien Hôpital destiné pour y recevoir les Pélerins. Le Prieur est Curé primitif de la Paroisse de. Saint‑Paul d'Audenge et de Saint‑Seurin du Porge.

 

6° Le Prieuré de Saint‑Jacques du Barp, uni au Couvent des PP, Feuillans de Bordeaux, étoit également un ancien Hôpital; le Prieur est Curé primitif de la Paroisse de Saint Eloi d’Andernos et de celle de Saint‑Jacques du Barp.

 

Les pouilliés de ce Diocese placent, outre cela, dans l'étendue de l’Archiprêtré de Cernès :

 

1° Le Prieuré de Portets, dépendant de la mense de l'Abbaye de la Seauve.

 

2° Le Prieuré de Bautiran ou de Saint‑Clément de Coma (aujourd'hui d'Aygues‑Mortes).

 

3° Le Prieuré de l'Isle, dans la Paroisse de l'Isle SaintGeorge.

 

4° Le Prieuré de Brach ou de Brachet..

 

50 Le Prieuré de l'Abbaye du Cierge, ainsi qu’il est porté par des anciens pouilliés; mais on  ignore dans quel canton de cet Archiprêtré ce Prieuré peut être placé.

 

 

 

 

ARTICLE III

 

CONTRÉE du CERNES.

 

C’est la dénomination que nous croyons devoir donner à une contrée que les Géographes ne désignent par aucun nom particulier. Ce nom lui convient d'autant plus que c'est celui de son Archiprêtré; à la vérité, il étoit anciennement appellé Sarnès, mot dont la prononciation étoit rude et allongée, et qu'on a changé en celle de Cernés. CelIe~ci est adoptée depuis long‑temps par le public: ce seroit donc en vain qu'on chercheroit à faire revivre l'ancienne. Si nous en rappelIons ici le souvenir, ce n'est qu'autant qu'elle peut contribuer à découvrir l'étymologie de la dénomination de cette contrée.

 

C'est, à proprement parler, dans l'étendue de celle‑ci qu'on recueille les vins de Graves, anciennement si renommés dans l'Etranger; et c'est aussi dans cette même contrée que croissent ces vins blancs, qui ont autant de force que de douceur, et qui sont connus sous la dénomination de vins blancs de Langon, qui étoient autrefois si recherchés, et qui n'ont rien perdu de l'excellence de leur qualité pour n'être plus aussi en vogue. QueIque événement qu'il arrive, les vins blancs de Preignac, de Sauternes, de Barsac, de Podensac, de Cérons, et de quelques autres Paroisses des environs seront toujours estimés.

 

La partie de cette contrée, qui est baignée par la Garonne, forme un terrein assez gras qui est complanté en vignes de palu, ou cultivé en prairies, ou en terres labourables. L'intérieur est un terroir de graves qui produit de bons vins, et l'extrêmité occidentale est un pays sablonneux, et qui tient de

 

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                             la nature de celui des Landes dont il est assez voisin. En général cette contrée est en plaine, mais cela n'empêche pas qu'on n'y remarque quelques éminences, ou même des élévations, sur‑tout dans la partie qui avoisine le Diocese de Bazas. On recueille dans cette contrée, non seulement des vins, des foins, mais encore on en exporte une grande partie des bois de chauffage qui se consument à Bordeaux. L'air est beaucoup plus sain dans cette contrée que dans celle du Médoc, aussi n'y a‑t‑il point autant de marais que dans cette derniere. La riviere du Ciron qui la traverse, et quelques ruisseaux qui se déchargent dans la Garonne, servent à écouler les eaux qui viennent des Landes, et les empêchent de rester stagnantes, et d'y former des marais; aussi ce pays, quoique moins étendu que la contrée du Médoc, est à proportion beaucoup plus peuplé que celle‑ci, sur‑tout dans la partie qui avoisine la Garonne.

 

Les bords de ce fleuve ont eu, ce semble, des attraits poury attirer des anciens habitans de Bordeaux, et pour les déterminer à y devenir propriétaires. Saint Paulin, par exemple, avoit de grandes possessions à Langon (à Lingo), où Saint Delphin, Evêque de Bordeaux, fit construire et consacra une Eglise, comme nous l'apprenons de Saint Paulin lui‑même; ce qui donne à penser que ce lieu étoit anciennement une

dépendance du Diocese de Bordeaux. Saint Léonce, Evèque de cette même Ville, avoit des possessions et une maison de campagne dans le lieu de Preignac, auquel Fortunat donne le nom de Prœmiacum, et qui n'ost pas éloigné de celui de Langon, comme personne ne l'ignore.

 

On se rappelle d'avoir lu dans une lieve du milieu environ du quatorzieme siecle, que plusieurs Communes de cette contrée payoient aux Archevêques de Bordeaux, un droit appellé Captennium, mot, qui suivant Ducange, signifie tutele, défense, protection : Captennium., dit ce Savant, tutela, tutamentum, protectio. Ce droit, qu'on n'acquitte plus, avoit pris, selon

 

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                            les apparences son ori gine ans les malheurs des temps. Les Communes foibles et exposées à être molestées, soit de la

part des Seigneurs, soit par les Routiers, qui dans ce temps‑là ravageoient les campagnes, soit en quelqu'autre maniere que ce puisse être, se mettoient sous la protection de quelque personne puissante qui pût leur donner aide et secours dans le besoin, et c'est pour cette raison qu'elles lui payoient un droit de protection qu'on appelloit captein.

 

L'Histoire nous apprend qu'il n'étoit pas extraordinaire, anciennement de voir un Prélat à la tête des troupes. Il paroît par une enquête de l'an 1236, que l'Archevêque de Bordeaux avoit des Communes qui étoient dans sa dépendance et qu'il employoit à empêcher que les Seigneurs du pays ne se fissent la guerre (1). On ignore si ces Communes étoient celles de la contrée du Cernès, on sait seulement que les Archevêques de Bordeaux avoient des vassaux dans cette même contrée. Il résulte, en effet, d'un titre du 5 juillet 1277, que Gailhard de Fargues, Damoiseau, et Seigneur d'Arbanats et de Portets, étoit vassal de cet Archevêque, et qu'il en étoit de même d'Arnaud de Cabanac, Cbevalier, qui de toute antiquité faisoit hommage, suivant ce même titre, aux Archevêques de Bordeaux, de son manoir et de sa terre de Cabanac.

                                   

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Arnal­dus de Cabanaco miles, est‑il énoncé dans ce titre, vassalus ipsius

Archiepiscopi, qui manerium Suum et terram suam ex longissimà

successione parentum tenet et avoat se tenere ab ipso Archiepiscopo

ab antiquo. Il y a donc lieu de présumer que les Communes,

dont l'Archevêque de Bordeaux servoit pour empêcher que

les Seigneurs du Pays Bordelois ne se fissent la guerre, étoient

celles de la contrée du Cernes, dont un certain nombre étoit

sous sa protection, et en quelque sorte sous sa dépendance,

d'au tant plus que c'est en cette même contrée que ce Prélat avoit

des vassaux qui étoient en état de commander ces Communes.

 

On ajoutera ici que le Seigneur Amanieu d'Albret, fils d'autre Amanieu d'Albret, et d'Assalhide de Tartas, et époux de Mathe, fille de Pierre de Bordeaux, par son testament du 16 Octobre 1263, entre différens legs pies qu'il fait, laisse à l'oeuvre ou fabrique de six Eglises Paroissiales de la contrée du Cernès, à chacune cinquante sols. On n'insére ce fait dans cet article, qu'autant que les noms de ces six Paroisses de la contrée du Cernès n'étant pas exprimés dans ce testament, il auroit été difficile de désigner qu'elles étoient celles auxquelles ces legs avoient été faits, quoiqu'il y a lieu de présumer qu'ils concernent les Paroisses dépendantes de la Jurisdiction de Castelnau de Cernès, qui appartenoit anciennement à la maison d'Albret.

 

Ce Seigneur, par ce même ;estarnent, fit des legs pies à plusieurs Hôpitaux placés sur la. route de Saint‑Jacques. Il laissa, entr'autres, cent sols à l’Hôpital de Pomps, qui étoit placé dans la Paroisse de Parentis en Born; à l'Hôpital de Ponts‑de‑Mont, cent sols; à l’Hôpital de Belin, cent sols; à l'Hôpital de Barb, cent sols; pareille somme à l'Hôpital de Camparrian, et deux cens sols à celui de Saint‑James de Bordeaux. Il légua mille sols morlans à l'Archevêque de cette Ville. On s'apperçoit qu'on ne comptoit pour lors que par sols, ce qui annonce que l'argent n'étoit pas aussi commun qu'il l'est à présent. C'étoit l'usage dans ce temps‑là de lais

 

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                                        ser, par les testamens, quelques legs pies aux Archevêques dé cette Ville; on les regardoit, sans doute, comme les peres communs des pauvres de leur Diocese, et on étoit persuadé que c'étoit faire du bien à ceux‑ci que de mettre les Archevéques en état de les soulager. Il est même énoncé dans un titre à peu près de ce temps‑là, qu'il y avoit quarante pauvres entretenus dans leur maison Archiépiscopale. Il y a apparence que cet usage n'a pris fin qu'autant qu'on s'est apperçu que d'autres soins empèchoient ces Prélats d'entrer par eux‑mémes dans le détail des besoins des pauvres; car auparavant on croyoit ne pouvoir mieux placer le dépôt des aumônes qu'on avoit l'intention de faire, qu'entre les mains du pere commun de tous les fideles d'un même Diocese. C'est vraisemblablement cet ancien usage, qui a engagé les Evêques à nommer des Prêtres pour leurs Aumôniers, qu'ils chargerent dans le principe de la distribution des aumônes. Il y en avoit même autrefois qui étoient chargés de veiller à l'exécution des legs pies, portés par les testamens des fideles, et pardevant lesquels les exécuteurs testamentaires étoient tenus de justifier de l'acquit de ces legs pies. On pourroit en rapporter ici des preuves, si cela ne nous faisoit perdre de vue l'objet principal qu'on s'est proposé dans cet Ouvrage.

 

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