VARIÉTÉS

BORDELOISES

ou

E S S A I  HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

LA TOPOGRAPHIE ANCIENNE ET MODERNE  DU DIOCÊSE DE BORDEAUX

PAR

L'ABBÉ BAUREIN

TOME II

BORDEAUX

FERET ET FILS, LIBRAIRES‑ËDITEURS

15 Cours de L'INTENDANCE

1876

 

 

Extrait :

 

 

Livre Quatrième

 

Article  XV

 

Pages :360 à 363

 

Collection :

 

 

 

 

TERRE GASQUES

 

 

CONTRÉE DE TERRE GASQUE.

 

Cest la dénomination qui est donnée dans les anciens titres à la contrée dont‑il est ici question. Il nous,semble que ces mots terre gasque réveillent l'attention du Lecteur, et qu'un chacun sera bien aise d'en connoitre la signification. Au moins avons‑nous entendu bien des fois faire cette demande, que signifient ces mots terre gasque? Nous ne nous flattons point de répondre à cette question d'une maniere qui satisfasse tout le monde; nous nous bornerons à exposer notre opinion sur ce point, laissant à un chacun la libeirté, de découvrir quelque chose de plus satisfaisant, à quoi nous serons toujours prêts à souscrire.

 

Le célebre Ducange, dans son savant Glossaire de la basse Latinité, nous apprend que ces mots vastunt, gastum, guastum, wastum, wastina, etc., avoient la même origine et la même signification : voces ejusdem notionis et originis. Or, le mot vastum, ajoute ce Savant, signifie ravage, destruction, vastum, destructionem significat. On observera d'ailleurs qu'il étoit assez ordinaire anciennement de changer le V en G. De Willelmus, on a fait Guillelmus; au lieu de Vascones, qu'on disoit dans le

principe, on s'est accoutumé à dire Gascones; ainsi, il ne seroit pas surprenant que de vastum on eût fait gastum, c'est‑à-dire, dégat, et que terre gasque signifiât terre dévastée.

 

, M. Arcere, de l'Oratoire, dans son Histoire dela Ville de la Rochelle et du Pays dAunis (t. 1, Discours préliminaire, P. 221 observe que les

 

« marais salans sont rangés en plusieurs classes. Ceux qu'on a laissé dégrader, dit cet Ecrivain, se nomment marais gatz; ils sont assablés, couverts de vase, et abandonnés aux insectes et aux plantes marécageuses. Le mot gas, ajoute‑t‑il, signifie un lieu délaissé . Dans I'his­toire de Bertrand du Guesclin, écrite en 1387, il est dit que la Ville étoit gaste et déserte. On comprend par là quelle a pu être la signification de ces anciens mots terre gasque, c'est‑à­

dire, Pays ou terre déserte. Mais, on le demande, qui est‑ce

qui l'avoit réduite à cet état, sinon les ravages, qu'elle avoit

éprouvés de la part de quelque nation ennemie? »

 

On a déjà observé que les anciens citoyens de Bordeaux, entr'autres, Saint Paulin et les Léonces, dont il y a eu deux évêques de cette Ville, avoient des possessions considérables dans cette contrée, et selon les apparences ils n'étoient pas les seuls. Cette contrée leur devoit paroître plus agréable, soit parce qu'elle étoit plus rapprochée de la Ville, soit parce que l'air y est assez sain, soit parce que les bords de la Garonne

y sont beaucoup plus rapprochés.  Ceux de la Gironde qui baigne la contrée du Médoc, et qui sont beaucoup plus écar­tés l'un de l'autre, ne présentent pas, de bien s'en faut, les mêmes aggrémens, indépendamment qu'on est exposé à plus de risque en descendant la riviere qu'en la remontant. Si on fait attention, d'ailleurs, qu'il n'y a pas autant de marais dans la contrée du Cernès que dans celle du Médoc, on sent que ces raisons durent déterminer les anciens habitans de

Bordeaux à établir, par préférence, leurs maisons de cam­pagne dans la contrée dont il est ici question. On ne fait mention que de celle du Médoc; entre les différentes con­trées placées sur la rive gauche de la Garonne, c’étoit la seule qui pouvoit être du goût des anciens habitants de Bordeaux ;  car pour ce qui est des landes, on peut juger ce qu'ils en pensoient par ces mots de Saint Paulin à Ausonne :

 

Aut piceos malis describere Boios.

 

Le contraste que met Saint Paulin entre une Ville brillante,

 

nitentem Burdigalam, et la figure sordide et hâlée des gens qui exploitent la poix et la résine, piceos, exprime d'une maniere assez sensible l'espece de dédain qne l'on avoit dès‑lors dans Bordeaux pour la contrée des landes, et qui y a persévéré jusqu'au temps présent.

 

Tout conduit donc à faire penser que la contrée du Cernès étoit cultivée et habitée par préférence à celles du Pays Bordelois placées sur la rive gauche de la Garonne. Or, les SarrasÎns qui sortirent d'Espagne dans le huitieme siecle, sous la conduite d'Abderame leur Chef, et qui pillerent, saccagerent et incendierent Bordeaux, trouvant que la contrée dont il est ici question, étoit peuplée et bien cultivée, la dévasterent entièrement, ne fût‑ce que pour répandre la terreur dans le pays; et c'est, selon les apparences, ce qui lui. fit donner anciennement la dénomination de terre gasque. Telle est notre opinion, que nous soumettons volontiers au jugement du Public. Au reste, il est libre à un chacun de travailler à découvrir une origine de cette ancienne dénomination, et plus vraisemblable et mieux fondée.

 

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