UNE
SOCIETE POPULAIRE
NOAILLAN. | |
par M. Jérôme DEBATS. | |
Extraits. | |
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Cahiers du Bazadais N° 97. 1992. |
Les Amis du Bazadais. B.P 34 33430 BAZAS. | |
On ne peut définir qu'avec une certaine imprécision ce qu'étaient les sociétés populaires sous la Révolution française. Implantées dans les villes et dans une multitude de villages, sous des appellations diverses, et ouvertes à toutes les catégories sociales, ces sociétés politiques se réclamaient de l'idéologie révolutionnaire et étaient plus ou moins en relation avec les grands clubs parisiens, principalement celui des Jacobins.
Quelquefois issues des sociétés de pensée de la fin de l'Ancien Régime, elles se développèrent d'abord lentement mais de façon ininterrompue et atteignirent leur apogée sous la Terreur.
De l'été 1793 à août 1794, leurs relations étroites avec les représentants en mission et leur participation à la traque des suspects, à la levée des taxes révolutionnaires et à la surveillance des fonctionnaires en firent des agents particulièrement actifs de la politique mise en place par la Convention montagnarde.
La chute de Robespierre, à la fin du mois de juillet 1794, entraîna un déclin irrémédiable de ces sociétés, si bien que le décret du 23 août 1795 qui ordonne leur dissolution ne fit guère que sanctionner un état de fait.
Une enquête récente et qui fait autorité estime à 5.500 le nombre de communes qui, de 1789 à l'an II, ont possédé une société de ce genre. La Gironde, d'après les documents conservés aux archives départementale en a compté 80.
C'est dans le district de Bazas que le pourcentage des communes qui avaient une telle société a été le plus élevé : 12 sur 68, soit 17,6 %.
Dans
la Gironde, il n'est que trois de ces sociétés dont le registre des délibérations
soit parvenu jusqu'à nous : celles de Blaye, de Pellegrue et de Noaillan. C'est
dire la rareté de tels documents dont l'intérêt est évident : ils nous
permettent de pénétrer à l'intérieur même de ces sociétés, d'en analyser
le fonctionnement, d'en connaître les activités et d'en
suivre l'évolution.
Procés-verbal
de la fondation de la Société.
9 janvier 1794.
Société
populaire et montagnarde et des amis de La liberté et de L'égalité
Liberté,
Egalité ou La mort et Vive à jamais
La
République une et indivisible
Séance
du vingt nivôse
Aujourd'hui
Vingt Nivôse L'an 2ème de la République une et indivisible, Nous Jean Pierre
Lapujade juge de Paix, Michel D'artigole notaire et assesseur, Gerome Fontebride
greffier, Bernard Dupuy, laboureur, Jean Dubernet maire, Jean Lacoste, Jean
Bougut, Pierre Dubourdieu, Bordes officier municipal, Dupuy officier municipal,
Pomiers, secrétaire de la municipalité, Jean Lapeyre dit Nanan, Jean Duprat,
Jean Lapeyre, procureur de la commune, Gerome Dupuy, Joseph Palus, Joseph
Bousquet, Jean Palus, Raymon Latri, Raymon Dubrana, François du Saza, Jean
Latrille, Bernard Janin, Jean Martin dit Belot, les tous assemblés en l'honneur
de la célébration de la fête de la reprise de Toulon sur les vils satellites
de la tyrannie qui a eu lieu dans cette commune, considérant qu'il est intéressant
pour le maintien de la République qu'il s'établisse dans chaque commune des
sociétés populaires afin de se rechoffer mutuellement leur patriotisme, de
veiller tous ensemble au maintien de l'ordre, de dévoiler les traîtres qui
pourraient se trouver parmi eux et de s'instruire par le moyen des nouvelles de
ce qui se passe dans toute la République ; considérant en outre qu'il existe
une loy qui favorise des semblables établissements, nous nous sommes établis
fondateurs de la dite société sous le nom de Société populaire et
montagnarde et des amis de la liberté et de l'Egalité et, avons pris pour le
lieu de nos séances la petite église ci‑devant St-Michel,
maintenant sale du club et avons nommé provisoirement le citoyen Dartigole président
et Bousquet secrétaire qui ont de suite pris place au bureau. Sur différentes
motions portées par divers membres il a été arrêté par la dite société 1°
que la dite société s'abonera pour avoir le Moniteur ou gasete universele et
le journal de Bordeaux, 2° qu'elle ... / ...
Nous avons choisi d'étudier, d'après son registre des délibération la société populaire de Noaillan, commune du district de Bazas devenue chef-lieu de canton en 1794, en remplacement de Villandraut.
Ce registre mentionne 101 séances. La première est datée du 20 nivôse an II (9 janvier 1794) et la dernière du 20 frimaire an III (10 décembre 1794). Il n'y a aucun doute sur la date de création du club : il s'agit bien du 9 janvier 1794, car le compte rendu de cette première séance fait état des statuts et des principes fondateurs présidant à son installation.
En revanche, un doute subsiste à propos de la dernière séance mentionnée par le registre. En effet, il n'est pas dit dans son compte rendu que la société est dissoute. Bien au contraire, cette séance du 10 décembre 1794 apparaît comme une séance de routine, avec la rituelle lecture des nouvelles, le choix d'un messager pour l'acheminement des nouvelles jusqu'à Noaillan, le renouvellement du bureau de la société et la levée de séance aux cris de "Vive la République !" en usage depuis fructidor an II.
Il est troublant de constater que lors de cette séance les clubistes de Noaillan ont pris des décisions, telles que la désignation d'un messager pour le port de leurs journaux ou le renouvellement de leur bureau, qui laissent à penser qu'ils ont continué à se réunir.
Cependant, en l'absence de tout témoignage écrit, on ne peut que considérer les 101 séances mentionnées par le registre et comprises entre janvier et décembre 1794.
La société de Noaillan peut être considérée comme une société tardive, car elle n'apparaît qu'en janvier 1794, c'est-à-dire à une date avancée dans le déroulement de la Révolution.
C'est une société montagnarde, car en janvier 1794 les Montagnards dirigent le pays sans opposition véritable. L'insurrection fédéraliste est réprimée, le régime de la Terreur règne à Bordeaux depuis septembre 1793, sous l'impulsion des représentants en mission Tallien et Ysabeau.
Le soulèvement vendéen a été écrasé en décembre 1793 à Savenay. La société de Noaillan se crée donc dans ce contexte d'emprise des Montagnards sur le pays et de mise en place de la Terreur.
En revanche, en décembre 1794, lorsque cette société disparaît, la situation politique n'est plus du tout la même.
En
effet, la chute de Robespierre le 27 juillet (9 thermidor an II) transforme le
contexte politique en enlevant le pouvoir aux Montagnards. La réaction
thermidorienne se développe partout et touche naturellement les sociétés
populaires, comme en témoigne la loi du 25 vendémiaire an III (16 octobre
1794) qui interdisait "toute affiliation, agrégation, fédération,
toute correspondance entre sociétés", comme "subversives du
gouvernement et contraires à l'unité de la République", et qui
obligeait chaque société à adresser la liste de ses membres aux représentants
locaux du gouvernement qu'étaient les agents nationaux de la commune et du
district.
A la fin de 1794, la situation politique n'est donc plus favorable à ces sociétés : c'est à cette époque que disparaît celle de Noaillan. Il faut remarquer tout de même que celle-ci a relativement bien résisté à la chute de l'Incorruptible, car, sur ses 101 séances, 40 se sont tenues après le 9 thermidor.
Elle a continué à se réunir durant 4 mois et demi sur une existence totale de 11 mois, après cette date. Notons d'ailleurs dès à présent que les Jacobins de Noaillan n'ont absolument pas bronché à l'annonce de l'exécution de Robespierre. Ils l'ont même approuvée, peut-être par conviction, mais certainement par opportunisme.
La société de Noaillan a donc eu une existence fort brève, mais ce fut un club actif, car il s'est réuni une centaine de fois, ce qui représente une moyenne de neuf séances par mois, soit environ une séance tous les trois jours.
Nous
allons d'abord analyser l'organisation et la vie interne de cette société,
puis nous mettrons l'accent sur son rôle en matière d'instruction civique et
d'idéologie révolutionnaire et nous verrons l'étendue de son champ d'action.
Enfin, nous terminerons par un aspect original : la désaffection des clubistes
à son égard.
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Il est important de savoir dans quelles circonstances et pour quelles raisons une société populaire s'est implantée à Noaillan.
La première séance du club date du décadi 20 nivôse an II (9 janvier 1794).
Ce jour-là "a eu lieu à Noaillan une assemblée en l'honneur de la célébration de la fête de la reprise de Toulon sur les vils satellites de la tyrannie".
En effet, les Toulonnais ayant livré leur ville aux Anglais le 28 août 1793, celle-ci fut assiégée et capitula le 19 décembre 1793.C'est donc pour célébrer cette victoire de la République que les citoyens de Noaillan se réunissent le 9 janvier 1794.
A la suite de cette cérémonie républicaine, vingt quatre citoyens décident de constituer la "Société Populaire et Montagnarde et des Amis de la Liberté et de l'Egalité" de Noaillan.
Les clubistes "fondateurs" adoptent donc une double dénomination, puisqu'ils se déclarent à la fois Montagnards, se rattachant ainsi au groupe de députés qui domine la Convention, et amis de la Liberté et de l'Egalité, adoptant de la sorte le nom officiel du Club des Jacobins, pour proclamer leur affiliation symbolique à ce club parisien.
Ces clubistes de la première heure, parmi lesquels se trouvent les principaux détenteurs des charges municipales, énumèrent les avantages que procure une société populaire :
"Pour le maintien de la République, il est intéressant qu'il s'établisse dans chaque commune des Sociétés Populaires, afin de réchauffer mutuellement leur patriotisme, de veiller toutes ensemble au maintien de l'ordre, de dévoiler les traîtres et de s'instruire par le moyen des nouvelles de ce qui se passe dans toute la République. En outre il existe une loi qui favorise de semblables établissements".
Dans l'esprit des fondateurs, la société populaire a donc deux missions essentielles : la répression des ennemis intérieurs à la République "veiller au maintien de l'ordre, dévoiler les traîtres" et l'information sur "ce qui se passe dans toute la République".
Le club est l'instrument local de conservation de la République ; c'est donc que les citoyens qui le fondent on le sentiment que celle-ci est menacée.
La création d'une société populaire dans un chef-lieu de canton n'est pas imposée par une autorité de l'Etat, agent national du district ou représentant en mission. Il s'agit d'une initiative émanant de quelques "bons citoyens", qui participe à la mobilisation patriotique de tout le pays pour faire face aux ennemis intérieurs et extérieurs.
Les fondateurs abordent plusieurs aspects de l'organisation interne de la société. Tout d'abord, ils choisissent pour salle du club "la petite église ci-devant Saint Michel". Ce lieu de l'ancien culte doit abriter la nouvelle religion, pour mieux frapper les esprits.
Ensuite, la société décide qu'elle s'abonnera "pour avoir le Moniteur ou Gazette universelle, et le Journal de Bordeaux", deux journaux qui lui permettront de se tenir au courant de événements importants.
Il est décidé qu'"il sera tenu séance trois fois par décade, à l'arrivée de chaque courrier", soit neuf séances par mois. Mais nous savons déjà que ce point n'a absolument pas été respecté, puisqu'il y a eu des mois à trois séances et d'autres à quinze.
Les fondateurs arrêtent aussi que "les membres déposeront entre les mains du trésorier de la société chacun la somme de trois livres par an, pour subvenir aux frais de la société".
Enfin "dès que la Société sera au nombre de 85 membres, les fondateurs subirons eux-mêmes un scrutin épuratoire, et ne seront continués qu'après avoir obtenu la majorité des suffrages".
En
effet, dès la cinquième séance, le décadi 20 pluviôse, le club, comptant 86
membres, procède à ce vote de confiance à l'égard des 24 fondateurs "qui
ont tous obtenu la majorité des suffrages".
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Le rythme des séances varie considérablement selon les mois du calendrier républicain.
Plusieurs périodes peuvent être distinguées. Les débuts de la société sont marqués par un nombre très faible de séances. Cette période de mise en place, d'installation de la société recouvre les mois de nivôse, pluviôse, ventôse.
Durant chacun de ces trois premiers mois d'existence, la société ne se réunit qu'à trois reprises. Mais en nivôse il y a trois séances en dix jours (du 20 au 30) alors qu'en pluviôse et ventôse les trois séances sont réparties sur trente jours.
Puis la société franchit un palier très net en germinal et floréal avec respectivement dix et neuf séances pendant ces deux mois, ce qui correspond à une fréquence d'une séance tous les trois jours, alors qu'en pluviôse et ventôse la société ne se réunissait qu'un jour sur dix.
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Après ce stade intermédiaire de germinal et floréal, le club entre dans la phase d'activité la plus intense, période d'apogée qui s'étend de prairial à fructidor an II. En effet, la société tient quinze séances en prairial, douze en messidor, quatorze en thermidor et seize en fructidor, dont deux qui ont lieu durant les jours complémentaires de l'an II.
Il convient de remarquer que la crise politique du 9 thermidor n'a absolument pas interrompu cette phase d'activité maximale de la société, car le rythme d'une séance tous les deux jours, atteint en prairial, reste identique en thermidor et fructidor.
Les trois derniers mois d'existence du club sont marqués par une très forte chute de son activité. Le déclin est amorcé en vendémiaire an III (dix séances), et se transforme en véritable décadence en brumaire et frimaire (trois séances durant chacun de ces deux mois).
Cette chute brutale du nombre des séances peut s'expliquer par le contexte politique issu du 9 thermidor, peu favorable aux sociétés populaires, trop liées au régime de la Terreur.
De plus, il semble évident, à la lecture du registre, que la société populaire de Noaillan a été affectée, dans les derniers mois, par une désaffection générale, une lassitude de la part des membres à l'égard du statut du clubiste.
Cette double cause, à la fois nationale et purement locale, explique que la société de Noaillan se soit quasiment évanouie en décembre 1794, après moins d'un an d'existence.
On peut effectuer une distinction entre les séances se déroulant les décadis, et celles ayant lieu les autres jours de la décade.
Il convient tout d'abord de noter que la société a tenu trente séances les jours de décadi. Durant toute la période d'existence du club, il n'y a eu que quatre décadis sans réunion : le 30 ventôse, le 10 messidor, le 20 et le 30 brumaire.
Il y a donc eu trente séances de décadi sur trente quatre possibles, ce qui veut dire que 88 % des jours de décadi ont été des jours de séance. Ceci montre que le culte décadaire a été bien respecté par la société populaire.
Mais
les séances se tenant le décadi ont-elles été plus importantes que celles
ayant lieu les autres jours de la décade ?
Plusieurs
exemples permettent de répondre par l'affirmative à cette question.
Un
premier exemple nous est fourni par la répartition des séances consacrées
uniquement à la lecture des nouvelles. Ces séances au cours desquelles les
sociétaires ne prennent aucune délibération ou décision, ne votent aucune
motion, enfin ne font rien d'autre que s'assembler pour écouter un membre du
bureau de la société lire les nouvelles, peuvent être considérées comme des
séances ordinaires, de routine.
Or on constate que sur un total de trente deux séances ayant eu lieu lors de jours de fêtes révolutionnaires des trente séances des décadis, plus deux séances tenues durant les sans-culottides, exactement les premier et cinquième jours complémentaires de l'an II, quatre seulement sont des séances consacrées uniquement à la lecture des nouvelles, soit 12,5 %.
En
revanche, sur soixante neuf séances de jours ordinaires, trente cinq consistent
en une simple lecture des nouvelles, soit la moitié. Un deuxième exemple
permettant de différencier nettement les séances des décadis et celles des
jours ouvrables est constitué par la répartition des admissions dans la société.
En effet, 103 membres ont été admis dans le club
lors de seize séances de décadis (soit six admissions environ par séance), et
à peine vingt-trois ont adhéré lors de cinq séance de jours ordinaires (soit
à peu près cinq admissions par séance).
Le
renouvellement du bureau de la société, c'est-à-dire la désignation
par les sociétaires de leurs président, vice-président, trésorier, et
de leurs deux secrétaires, est un troisième exemple de l'importance des séances
décadaires, car les huit renouvellements effectués ont tous eu lieu lors de séances
du décadi.
Trois
critères incontestables, car couvrant toute la période d'existence de la société,
à savoir les séances consacrées uniquement à la lecture des nouvelles, les
admissions au sein du club, et le renouvellement du bureau de la société,
permettent donc de mettre clairement en lumière une règle générale, qui
souffre évidemment des exceptions : les séances du décadi sont globalement
plus variées et plus importantes que les autres séances. C'est du moins
l'impression qui ressort de la lecture du registre des délibérations.
Remarquons
que la première et la dernière séance de la société ont eu lieu un décadi,
le 20 nivôse an II et le 20 frimaire an III. Le fait que le club ait été fondé
un décadi n'est certainement pas un hasard.
D'ailleurs, c'est lors de "la fête, qui a eu lieu à Noaillan, de la reprise de Toulon sur les vils satellites de la tyrannie", c'est-à-dire à l'occasion d'une fête décadaire, qu'a été créée la société.
De même, c'est à la séance du décadi 30 thermidor que les clubistes de Noaillan ont lu pour la première fois le
"Journal du Club National de Bordeaux, qui nous a dévoilé les dangers de la trame perfide de Catilina Robespierre et de ses complices".
Pour la première fois aussi, à la fin de cette séance décadaire,
"chaque
membre s'est écrié conformément à nos délibérations : Vive la République.
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Dès sa première séance, la société établit la procédure d'admission dans son sein en ces termes :
"Chaque citoyen qui se présentera pour sociétaire se fera présenter par un membre déjà reçu, et ne sera proclamé membre de la société qu'après avoir réuni par la voie du scrutin la majorité des suffrages".
Cette procédure ne subira aucun changement durant les onze
mois d'existence de la société.
Le
registre du club mentionne un total de 126 admissions dont 24 membres
"fondateurs".
Ce noyau de 24 fondateurs, qui ont établi les statuts du club lors de la première séance, le décadi 20 nivôse an II (9 janvier 1794), comprend le maire de la commune, le procureur, deux officiers municipaux, le juge de paix, le secrétaire de la municipalité, le greffier, un notaire et assesseur et un laboureur.
Beaucoup
de ceux qui exercent des fonctions dans l'administration de la commune de
Noaillan font donc partie de ce groupe initial.
Il
a été déjà dit que 103 membres ont adhéré lors de seize séances du décadi,
et les 23 autres lors de cinq séances de jours ordinaires. L'admission
d'un nouveau membre est donc une opération que la société réserve
essentiellement aux séances du décadi, 86 membres sur 126, soit les deux
tiers, ont adhéré lors des cinq premières séances 24 citoyens ont fondé le
club le 20 nivôse, 15 ont été admis le 25 nivôse, 25 le 30 nivôse, 11 le 10
pluviôse et 11 le 20 pluviôse.
Ensuite,
il n'y a pas plus de 5 admissions par séance. recrutement est donc très
fortement concentré sur les cinq premières séances.
Le recrutement a eu lieu en deux vagues successives, mais d'inégale importance. La première vague concerne les deux premiers mois, nivôse et pluviôse, et compte donc 86 des 126 admissions.
Elle
se prolonge en ventôse et germinal, mois au cours desquels ont adhéré
respectivement quatre et trois citoyens. Puis vient une phase d'étiage, au
cours de laquelle la société n'admet pratiquement plus personne.
Ensuite apparaît la deuxième
vague du recrutement couvrant les mois de thermidor, fructidor et vendémiaire,
avec respectivement dix-sept, quatre et neuf admissions. Ce
regain des adhésions intervient alors que la situation politique du pays se
transforme du fait de la chute de Robespierre le 9 thermidor.
Ce changement politique majeur est certainement la cause qui permet d'expliquer la reprise du recrutement. Les citoyens qui ont été admis dans la société lors de cette deuxième vague, qu'on peut qualifier de thermidorienne, n'avaient sans doute pas exactement les mêmes opinions politiques que ceux qui ont créé le club ou qui ont été admis durant les premiers mois, à l'époque où la Terreur était "à l'ordre du jour".
Mais
comment le club de Noaillan, composé de citoyens partisans du régime de la
Terreur, a-t-il pu accepter cette irruption de modérés en son sein
?
Il
est possible que cette "thermidorisation" de la société populaire
ait été imposée aux clubistes par une autorité représentant la Convention,
telle l'agent national du district ou même un représentant en mission.
Ou
bien constatant la tournure que prenaient les événements, les Jacobins de
Noaillan ont peut-être mis une sourdine à leurs opinions politiques et
ils ont volontairement admis parmi eux des modérés, de façon à donner une
autre physionomie à leur société, pour éviter qu'elle ne soit inquiétée
par les autorités et assurer sa pérennité.
Il
faut remarquer qu'après le 9 thermidor, la société ne prend pas une fois
position en faveur de Robespierre. Elle condamne même fermement et à plusieurs
reprises celui dont elle avait approuvé la politique.
Cependant,
après la vague "thermidorienne" du recrutement suit une deuxième et
dernière phase "d'étiage" en brumaire et frimaire an III, une
admission seulement pour cette période.
Ces
deux mois correspondent à la déchéance du club, qui passe de dix séances en
vendémiaire à trois en brumaire, de même qu'en frimaire, pour disparaître le
20 de ce mois.
Deux
remarques complèteront cette analyse des admissions. En premier lieu, le club
n'a quasiment jamais procédé à des exclusions de sociétaires mise à part
l'affaire Péquin de Calote, qui est un cas individuel dont nous reparlerons
plus loin.
Le
fait est qu'il n'y a pas eu dans ce club de vagues d'exclusions, alors que cette
pratique aurait fort bien pu apparaître après le 9 thermidor pour purger la
société de ses éléments les plus "terroristes".
D'autre
part, on ne relève qu'un seul cas de candidat s'étant vu refuser l'admission
dans le club. Cela se passa lors de la séance du 21 fructidor. A cette
occasion la société décida de recueillir des informations sur le patriotisme
du candidat malheureux et ajourna à un mois sa décision concernant son éventuelle
admission.
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Des citoyens qui ne sont pas membres de la société assistent aux séances de celle-ci. Ce public est composé en partie de femmes.
C'est
ce que nous apprend le compte rendu de la séance du 10 ventôse, au cours de
laquelle un sociétaire déclara:
"qu'il
voyait avec peine que les citoyennes qui venaient pour assister à nos séances
fussent confondues parmi les citoyens étrangers à la société, sans même
pouvoir s'asseoir, et il a demandé qu'elles fussent admises parmi les membres
dans le sein de la société.
On
a discuté sur le désordre que cette admission causerait dans la société, et
on a chargé les commissaires ordonnateurs pour la distribution de la salle de réserver
une place commode et séparée dans la salle".
Ce privilège accordé aux citoyennes fait des envieux dans le public masculin. Ainsi, à la séance du 3 germinal :
"un
citoyen de la première réquisition, qui n'était point membre de la société,
a obtenu la parole et a dit qu'il voyait avec peine que les citoyennes eussent
une place distinguée dans l'enceinte de la salle, tandis qu'eux, prêts à
marcher sur les frontières, étaient confondus parmi les restes des citoyens.
Et
il demandait l'agrément que toute la première réquisition fût introduite ou
parmi les citoyennes, ou parmi les membres de la société".
Mais les clubistes restèrent intraitables, insensibles à cette requête :
"La Société a arrêté que les jeunes gens de la première réquisition
ne seraient admissibles dans la Société que lorsqu'ils se seraient faits présenter,
comme les autres citoyens, par un membre déjà reçu, qu'ils auraient réuni la
majorité des suffrages, et qu'ils paieraient leur annuaire".
Cependant,
quelques citoyens qui ne sont pas membres de la société sont parfois autorisés
à siéger parmi les clubistes pour une séance.
Le 17 germinal, le citoyen Lapujade, vice président du club, demande la parole :
"pour
faire la motion de nous affilier aux Jacobins de Paris, et aux autres sociétés
qui nous avoisinent, telles que celles de Bazas, que nous reconnaissons être
dans les bons principes.
La motion du citoyen Lapujade est applaudie, et la Société a délibéré qu'elle écrirait pour demander son affiliation à la Société Jacobine de Paris ; et qu'elle enverrait deux commissaires pour aller vers les différentes Sociétés dont elle jugera à propos de demander l'affiliation".
Mais
une seule société populaire, celle du chef lieu du district, a accepté de
s'affilier au club de Noaillan : le 20 floréal,
"le
Président, qui avait été nommé commissaire pour aller demander l'affiliation
à la Société Populaire et Montagnarde de Bazas, déclare que la Société de
Bazas avait accordé à l'unanimité son affiliation à celle de Noaillan".
Dès la première séance, les fondateurs du club décident que chaque membre versera trois livres par an "pour subvenir aux frais de la société". Or il semble que les sociétaires n'ont pas respecté scrupuleusement cette obligation financière, car dès la vingtième séance, le 3 floréal, la société arrête que chaque membre devra verser cinq sous par mois dans la caisse du club, toujours pour subvenir aux frais.
La
participation financière reste donc identique à celle qui était prévue
initialement, à savoir trois livres par an et par sociétaire, mais elle est répartie
en douze versements mensuels au lieu d'un versement annuel.
Cependant,
cette mesure ne règle pas le problème, puisque moins d'un mois plus tard, le
30 floréal :
"la
Société a délibéré qu'il serait fait des cartes scellées du cachet de la Municipalité, qu'il serait livré
une de ces cartes à chaque membre, et que chaque membre en la prenant serait
obligé de payer son annuaire suivant ses facultés, s'il ne l'avait déjà
fait".
Ce système de cartes payantes met le club à l'abri des soucis financiers pendant quelques mois. Mais ce problème est à nouveau abordé lors de la séance du 10 fructidor, au cours de laquelle :
"il
a été question des cinq sols par mois que chacun devait donner et plusieurs
membres se sont empressés de venir acquitter la dette contractée à la Société".
Quelques
jours après, le 14 fructidor, un nouvel appel est lancé :
"Les
sociétaires ont été invités de demander leurs cartes, et en même temps ils
ont été prévenus de payer selon nos conditions cinq sols par mois afin de
soutenir le trésor".
Tout
cela prouve bien que la société a été en permanence confrontée à des
difficultés financières. Le peu d'empressement des clubistes à apporter leurs
oboles est peut-être le signe d'un contexte économique difficile.
Le
bureau se compose d'un président, d'un vice-président, de deux secrétaires
et d'un trésorier. Il a déjà été dit plus haut que la société a renouvelé
son bureau à huit reprises, lors de séances décadaires. Mais on remarque que
ce sont souvent les mêmes hommes qui occupent ces postes.
Ainsi,
le citoyen Dartigolles occupe deux fois la présidence, une fois la vice présidence,
et deux fois le secrétariat. Le citoyen Lapujade est élu deux fois président,
une fois vice président et une fois secrétaire. Les citoyens Palus et Perroy
sont chacun une fois vice présidents et deux fois secrétaires.
Il
y a donc un petit groupe de sociétaires qui sont quasiment en permanence
membres du bureau. Par exemple, Dartigolles, élu président le 20 pluviôse
devient vice président le 20 germinal, puis secrétaire le 30 floréal.
Nous
avons déjà vu que par la loi du 25 vendémiaire an III (16 octobre 1794) la
Convention oblige les sociétés populaires à adresser les listes de leurs
membres aux agents nationaux des communes et des districts. Cette
mesure de surveillance des clubs jacobins s'inscrit dans le cadre de la réaction
thermidorienne qui se développe après la chute de Robespierre.
La
société de Noaillan prend connaissance de
cette loi le 10 brumaire (31 octobre) et nomme
"une
commission chargée de prendre les noms et prénoms des membres, et de rédiger
les tableaux".
Mais une partie des clubistes, probablement les plus compromis par leur adhésion au régime de la Terreur, refusent d'être ainsi "fichés" par le nouveau pouvoir. La société est obligée de rappeler à l'ordre les récalcitrants. Ainsi, le 15 brumaire :
"le Président invite de nouveau les membres à aller se faire inscrire sur les tableaux rédigés en vertu de l'article 5 de la loi du 25 vendémiaire".
Puis,
le 10 frimaire,
"un membre a dit que nous étions tellement en retard pour l'exécution de la loi du 25 vendémiaire, qu'il fallait nous en occuper et prendre des mesures contre les citoyens dont leur empressement à venir s'enregistrer n'avait pas correspondu au décret estimable de la Convention".
Enfin,
lors de la dernière séance mentionnée par le registre, le 20 frimaire an III
(10 décembre 1794), soit près d'un mois et demi après avoir pris connaissance
de cette loi, le président du club invite encore les sociétaires
"à
aller s'enregistrer selon les voeux de la loi du 25 vendémiaire. Et la Société
a menacé de regarder comme non sociétaires, à l'exemple du Club
National de Bordeaux, ceux de ses membres qui ne se feraient pas inscrire au
plus vite".
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Nous
aborderons ici deux aspects. Il s'agit d'abord de considérer la société
populaire en tant que lieu d'information des citoyens et de voir comment les
clubistes interprètent les événements dont ils sont informés.
Nous
avons déjà mentionné que dès sa première séance, le club de Noaillan décide
de s'abonner "au Moniteur ou
Gazette Universelle et au Journal
de Bordeaux"
Ce
dernier a paru à partir du 6 juillet 1794, et les clubistes de Noaillan l'ont
lu pour la première fois le 17 août. Partisan de la Terreur avant le 9
thermidor, il a soutenu les thermidoriens après la chute de Robespierre.
Ces
quatre journaux permettent à la société populaire de connaître les
principaux événements militaires ou politiques.
Ainsi,
le 5 floréal, ils sont informés de la capture de bâtiments
anglais, espagnols et hollandais, en messidor, de la prise des villes de
Charleroi, Mons, Tournai, Ostende.
En
fructidor, ils sont informés du succès de l'Armée des Pyrénées Occidentales
à Saint-Sébastien et de la possession par nos armées de la ville de Trèves, de la prise du Quesnoy et de Landrecies, de la bataille d'Arena et du combat
avantageux de Bellegarde, de la prise de l'île de Cassandria dans la Hollande,
et de la reprise de Valenciennes, "une des quatre places que la trahison
nous enlevées", et enfin de la reprise de Condé.
La
société se tient donc informée de la progression des armées françaises sur
tous les fronts. Mais certains événements militaires la réjouissent particulièrement.
Ainsi,
le 13 floréal, le président annonce aux clubistes :
" que nos troupes avaient remporté une victoire complète sur les Espagnols, et qu'il était entré dans le port de Brest un grand nombre de vaisseaux pris sur nos ennemis, chargés de bled et d'autres provisions".
Puis le premier messidor (19 juin 1794):
"un
citoyen, venant du District, a fait part à la Société des triomphes, de la République
sur mer. Et il a dit avoir appris par un courrier extraordinaire envoyé par
Jullien, remplissant les fonctions de Représentant du Peuple à Bordeaux, que
la flotte républicaine, sortie du port de Brest, avait rencontré la flotte des
scélérats anglais, lui avait livré un combat dont les résultats sont les
plus heureux pour la République, et que ce combat nous avait procuré la rentrée
dans le port de Brest du convoi de bled que nous attendions depuis longtemps,
composé de 124 voiles, y compris 10 prises faites sur les Anglais".
Ce
combat naval est celui du premier juin au cours duquel s'illustra le vaisseau Le
Vengeur, qui coula pavillon haut.
"fait
la lecture d'un rapport sur la submersion du vaisseau "Le Vengeur",
rendant ainsi hommage à l'héroïsme des marins de la République.
Enfin,
lors de la séance du 7 fructidor (24 août
1794), le Journal du Club National de Bordeaux du 6 fructidor nous a
fourni lecture d'une lettre signée d'un soldat français, qui nous a donné les
détails de la journée du 26 thermidor, qui a été terrible pour les Espagnols,
et qui nous prépare la reddition de Bellegarde".
La
société s'informe donc constamment de la guerre que la France mène contre les
puissances européennes coalisées. Elle se réjouit des succès militaires que
la République obtient, à la fois sur terre et sur mer. Elle célèbre tout
particulièrement les victoires navales, qui permettent de briser le blocus des
côtes françaises effectué par la marine anglaise et donc d'assurer le
ravitaillement de la République en vivres.
Elle
réagit aussi aux événements politiques. Ainsi, lors de la séance du 15
avril, elle apprend que
"le
patriote Beauvais, Représentant du Peuple mort après avoir souffert à
Port la Montagne les plus horribles tourments.
Puis
le président a lu une lettre de Beauvais fils, adjudant général dans
l'Armée du Rhin, à la Convention Nationale, où il paraît que ce jeune
citoyen a appris la mort de son père avec une sorte de satisfaction, parce que
dit-il, il était mort pour sa Patrie, et que c'était le seul bonheur auquel il
aspirait.
La
Société a applaudi au zèle, au désintéressement et au patriotisme du jeune
Beauvais".
Il faut savoir que le Conventionnel Beauvais de Préau, représentant en mission à Toulon, avait été arrêté en juillet 1793 par les royalistes qui avaient pris le pouvoir dans cette ville.
Il passa alors quatre mois au secret, avant d'être délivré par les troupes révolutionnaires. Dans un état déplorable, Beauvais fut transporté à Montpellier où il mourut le 28 mars 1794. La municipalité de cette ville décida que
"le corps de ce martyr de la liberté serait brûlé au milieu d'une pompe civique et que ses cendres recueillies dans une urne, seraient envoyées à la Convention".
Le
club de Noaillan participe donc à cette campagne visant à faire du député
Beauvais un héros de la République.
La
société populaire est informée aussi de l'élimination des "factions"
hostiles à Robespierre. Le 30 mars, elle prend connaissance "d'une
conjuration à Paris, déjouée par la Convention", c'est-à-dire
du procès et de l’élimination des hébertistes
Puis,
le 6 avril, les clubistes de Noaillan saluent « le triomphe de la
Convention sur les ennemis secrets de la République", autrement dit
l'exécution des dantonistes.
Enfin,
le 22 avril, le président du club lit en séance "un rapport fait à la
Convention par Saint Just, sur les conjurations
découvertes",
Il
faut remarquer que les Jacobins de Noaillan félicitent la Convention et non pas
Robespierre pour avoir éliminé ces "factions".
Le 15 juin, le club apprend
"le bon succès de la fête dédiée à l'Etre Suprême qui s'est déroulée le 8 et les désordres qui existent dans les cours des tyrans coalisés".
Pendant tout le mois d'août, il est absorbé par l’événement majeur de l'année 1794 : l'élimination de Robespierre et de ses principaux partisans le 27 juillet (9 thermidor an II).
Dès le 3 août, la société est informée que
"la Convention, toujours
surveillante pour le bonheur du Peuple, avait découvert dans son sein de
nouveaux traîtres qui aspiraient au pouvoir despotique et elle leur avait
fait subir la peine de mort due à leur crime
audacieux.
La
société a applaudi à ces mesures fortes de la Convention".
Plus
que jamais, la Convention est le point de ralliement unique du Club de Noaillan.
Il ne vient absolument pas à l'esprit de celui-ci de prendre parti pour
Robespierre. C'est tout le contraire qui se produit, puisque le club n'a pas de
mots assez durs pour condamner l'Incorruptible.
Ainsi, le 5 août,
"la Société est instruite de la nouvelle conjuration que
la Convention vient de découvrir. La société a applaudi à la fermeté de la
Convention, qui vient encore de sauver la Liberté et d'assurer le triomphe de
la République".
Puis, le 17 août, le registre mentionne :
"Le Journal du Club National de Bordeaux nous a dévoilé les dangers de la trame perfide de Catilina Robespierre et de ses complices".
Robespierre est donc comparé au patricien romain qui échafauda une conjuration contre le Sénat en 63 avant J.C. Le 27 août, la société prend connaissance "des suites de la découverte de la conspiration des triumvirs", reprenant ainsi l'expression du député montagnard Elie Lacoste, membre du Comité de sûreté générale, qui traita Robespierre, Couthon et Saint Just de "triumvirat de fripons", dans la nuit du 8 au 9 thermidor.
Le 4 septembre, les sociétaires haussent le ton, les nouvelles leur ayant donné :
"des
détails sur les complots et les vues criminelles de l'infâme Robespierre et de
ses vils agents".
D'autre part, la société se tient informée des conséquences du 9 thermidor à Bordeaux. C'est ainsi que
"le Journal du Club National de Bordeaux du 9
thermidor ( 17 août ) nous a donné connaissance de deux arrêtés
du Représentant du Peuple en séance à Bordeaux, l'un concernant la nomination
de la commission militaire chargée de juger Lacombe et ses complices,
l'autre concernant la suspension de la permanence de l'instrument de
supplice, qui ne paraîtra plus dorénavant qu'au moment de l'exécution du
coupable, et sera retiré après.
Ce
journal nous entretient encore de la procédure de Lacombe et des crimes et vols
dont il était coupable".
Puis 21 août, le président lit en séance :
"l'interrogatoire de Lacombe,
ex-président de la ci-devant commission militaire séante à
Bordeaux, avec la conclusion de l'accusateur public, et sa condamnation de mort
portée par les juges".
Rappelons
que Lacombe présidait la Commission militaire, organe de la Terreur à
Bordeaux. Michel Figeac dans La Révolution
dans la Gironde qualifie ce personnage de "Fouquier-Tinville
local".
Le
club de Noaillan prend connaissance du démantèlement du système de la Terreur
à Bordeaux. En effet :
"le
Journal du Club National de Bordeaux du 6 fructidor (23 août)
nous a donné connaissance d'un arrêté du Représentant du Peuple Isabeau,
concernant la Commission des Trois établie dans chaque section, pour délivrer
les cartes et passeports, laquelle est annulée par son arrêté".
Mentionnons
enfin que la société de Noaillan réagit avec véhémence apprenant que
Tallien a échappé à une tentative d'assassinat le 10 septembre 1794. Tallien,
représentant en mission à Bordeaux d'août 1793 à mars 1794, fut l'un des plus
audacieux contre l'Incorruptible, le 9 thermidor, n'hésitant pas à brandir un
poignard à la tribune et annonçant qu'il plongerait ce poignard dans le coeur
de Robespierre si on ne le décrétait pas d'accusation.
Rappelons aussi que le Conventionnel Merlin de Thionville profita de l'agression dont avait été victime Tallien le 10 septembre pour dénoncer les Jacobins comme "les chevaliers de la guillotine".
Quoi qu'il en soit, le 17 septembre, les clubistes de Noaillan, apprennent :
"qu'il existe encore quelque monstre pour violer la Représentation
Nationale. La vie de Tallien a été en danger.
L'Assemblée en frémit d'horreur, mais heureusement le coup mal porté n'est
pas dangereux.
Nous
apprenons aussi que la Cour de Madrid n'est pas sans de grandes inquiétudes et
voudrait bien se retirer de cette infâme coalition s'il lui était possible. La
Pologne républicaine a eu également quelque succès".
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Trois
points essentiels peuvent être distingués ici : la pratique du serment.
"l'épurement" des clubistes et les scènes de patriotisme.
Lors
de la séance du 20 germinal (9 avril 1794), alors que la société vient de
renouveler son bureau, un clubiste demande que l'ancien président fasse prêter
"le serment républicain" à son successeur.
Mais l'ex président refuse ce procédé, arguant du fait que :
"de bons
républicains, de vrais sans-culottes, qui pendant toute la Révolution
avaient donné les preuves les plus authentiques d'un civisme bien prononcé,
n'avaient pas besoin de prêter un serment qu'ils ont constamment gravé dans
leurs coeurs".
Cette
tirade suffit à emporter l'adhésion des sociétaires qui renoncent à exiger
que le nouveau président du club qu'ils viennent eux-mêmes de se
donner, prête un quelconque serment.
Cependant,
à la séance du 20 floréal (9 mai), la société décide que chaque membre
devra prêter "le serment civique et de fidélité à la
Convention".
En effet :
"un membre a demandé
qu'on déterminât la séance où chaque
membre viendrait prêter son serment civique, et que chaque membre joignît à
ce serment celui d'être fidèle aux ordres de la Convention, de lui être
constamment attaché, en reconnaissance des bienfaits qu'elle venait de rendre
en dévoilant la nouvelle conjuration et en punissant tous les coupables.
Un
autre membre a demandé que le même jour où chaque membre prêterait son
serment, il fût fait un feu de joie en mémoire des grands avantages que nos
troupes venaient de remporter sur les vils satellites du despotisme, et
que la Municipalité fût invitée à y assister.
La
Société a délibéré que décadi prochain chaque membre prêterait son
serment civique et celui d'être fidèle à la Convention, et qu'à la sortie de
la séance, il y aurait un feu de joie en mémoire de nos dernières victoires,
que la Municipalité serait invitée à y assister, et deux commissaires ont été
nommés pour aller vers la Municipalité lui faire au nom de la Société cette
invitation".
Les
Jacobins de Noaillan veulent donc manifester leur attachement à la Convention,
et à elle seule, par le moyen d'un serment qui engage chacun d'entre eux. La cérémonie,
prévue pour le 30 floréal (19 mai), n'est pourtant pas rapportée dans le
registre.
D'ailleurs,
cette cérémonie, dont les deux temps forts sont le serment individuel des
clubistes et le feu de joie célébrant les victoires des soldats de la République,
n'est finalement mentionnée que le 10 thermidor (28 juillet 1794).
Ce
jour-là :
"un
membre a rappelé à la Société que c'était aujourd'hui qu'elle avait délibéré
qu'il serait fait sur la place publique un feu de joie sur les triomphes de nos
armées sur celles des tyrans.
Mais
que comme les Républicains devaient détruire dans leurs fêtes toutes les
grimaces de l'ancien régime, qui n'étaient que de nouveaux anneaux pour
resserrer la chaîne de notre esclavage, et que les feux de joie étaient faits
pour se rappeler et célébrer les époques que les tyrans appelaient heureuses,
ce membre a fait la motion qu'il ne serait pas allumé de feu de joie, mais que
les membres sortiraient deux à deux du sein de la salle, après la séance,
suivis du reste du Peuple, qu'ils iraient au pied de l'arbre de la Liberté en
chantant des hymnes patriotiques, jurant d'exterminer les tyrans, de maintenir
la République une et indivisible, et d'être toujours fidèles à la
Convention.
Et
qu'après ce serment il serait fait des danses, qui termineraient la fête
simple et digne des Républicains.
Sur
la motion de ce membre, la Société a délibéré qu'il ne serait pas fait de
feu de joie, mais qu'en remplacement de ce feu, les membres de la Société
iraient deux à deux en chantant des hymnes républicains au pied de l'arbre de
la Liberté, jurer de nouveau d'exterminer jusqu'au dernier des tyrans, de
maintenir la République et d'être fidèle à la Convention."
L'idée
de faire un feu de joie, acceptée le 9 mai, a donc été finalement repoussée
le 28 juillet, ce feu rappelant trop l'Ancien Régime. Il est donc remplacé par
une procession à l'arbre de la Liberté, qui, lui, est une création de la Révolution.
Remarquons
que cette procession allant de la salle du club à l'arbre de la Liberté est
bien organisée : en tête viennent les membres de la société populaire,
marchant deux à deux, "suivis du reste du peuple",
c'est-à-dire de tous ceux qui n'ont pas le statut de membres du
club.
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Le serment de défense de la République, de fidélité à la Convention, et de haine aux tyrans permet donc à la société de manifester son attachement au régime, tout comme la pratique de "l'épurement". Pendant la Terreur, il n'est absolument pas question d'épuration, dans les débats de la société. Il est évident que tous les membres admis à cette époque sont des "terroristes".
De
ce fait, l'unanimité est de règle dans le club, et celui-ci n'éprouve
donc pas le besoin d'exclure quelques membres trop modérés, puisqu'il n'y en a
pas, ou qu'ils ne se manifestent pas.
Après
le 9 thermidor, la situation interne du club est différente, puisque de
nombreux thermidoriens y sont admis. C'est le 30 thermidor que "l'épurement"
de la société est réclamé par certains membres et accepté par
celle-ci.
En effet, le registre mentionne que lors de cette séance :
"un
membre a dit que la Société était coupable d'une grande négligence, celle de
l'épurement de ses membres, qu'il était temps que cette Société connût
individuellement la conduite de ses enfants, et que les Républicains ne
devaient point craindre de se faire connaître.
Un
autre membre a demandé que dorénavant cet épurement se renouvelât toutes les
trois décades, parce que ce devait être un sensible plaisir pour les membres
de la Société de faire connaître souvent leur conduite, et qu'en même temps
la Société pourrait reconnaître ceux qui, dans le cours d'un mois à l'autre,
seraient dans le cas de dévier ; il a dit que c'était une mesure de sûreté,
et que les perfidies que nous avions essuyées n'auraient pas eu leur libre
cours, si on n'avait pas donné tant de confiance aux traîtres pour lors
inconnus.
Il a donc été délibéré que l'épurement de la conduite de chaque membre serait fait la décade prochaine, 10 fructidor, et que cet épurement se renouvellerait toutes les trois décades, sans renvoi. Ce jour-là, le concierge ferait l'appel à la Société à la meilleure heure, et chaque membre s'empresserait d'y venir à l'heure fixe".
Le club entend donc par "épurement" l'examen de la conduite de chacun de ses membres. Chaque sociétaire doit, sans doute, comparaître devant le club, réuni au grand complet et faisant en somme office de tribunal, et se faire interroger par celui-ci.
Mais on ne peut pas savoir si cette mesure a été réclamée par les "terroristes" ou les "thermidoriens" du club. Il est fort possible aussi que la rivalité entre ces deux "factions" ne soit pas le motif ayant poussé la société a décider de s'auto-épurer.
Il est tout de même plaisant qu'elle adopte cette pratique consistant à surveiller, voire même suspecter des individus, non pas à l'époque de la Terreur, durant laquelle ce procédé était habituel, mais bien après la chute de Robespierre, à une époque où ce genre de pratique n'est plus de mise, et le jour même, 30 thermidor, où elle dénonce :
"les
dangers de la trame perfide de Catilina Robespierre et de ses complices".
Cependant
la pratique de l'épuration va tourner court. En effet, dès la séance prévue
pour le premier "épurement", le 10 fructidor :
"un
sociétaire a exposé que les épurements étaient suspendus jusqu'à nouvel
ordre, qu'ils ne servaient qu'à inquiéter et tracasser les sociétaires,
qu'une Société composée de bons Républicains ne devait point se servir de
moyens semblables pour reconnaître des traîtres s'il en existait dans son
sein, que les membres auraient tous assez de courage pour dévoiler dans leur
Société les projets perfides de ceux qui méconnaîtraient nos lois en déviant
de nos principes, et qu'enfin la Société devait mettre sa police à l'abri de
toute censure et rapporter une délibération que dans ce moment-ci elle a
été la seule et la première à prendre.
La
Société a arrêté que dorénavant elle suivrait de point en point les Sociétés
supérieures en connaissances, pourvu que leurs connaissances ne dévient pas de
nos principes de républicanisme".
En
dix jours, la société de Noaillan a donc complètement changé d'opinion.
En
effet, il semble bien que la société de Noaillan ait été téméraire en décidant
d'organiser des séances d'épuration, car "elle a été la seule et la
première" à agir ainsi. La pratique de l'épuration étant mal vue
dans le contexte de l'après Terreur, le club de Noaillan a préféré faire
machine arrière.
La société populaire est aussi une assemblée où se manifeste l'attachement des citoyens à la République par les scènes de patriotisme qui se déroulent durant ses séances.
Deux sont particulièrement typiques. Tout d'abord, le 11 avril 1794 (22 germinal) :
"le
Citoyen Laguibeau, membre de la Société, a introduit dans la salle ses deux
petites filles, portant une corbeille de charpie, et elles sont venues
elles-mêmes la déposer sur le bureau, au milieu des applaudissements réitérés
de la Société, qui a vu avec la plus vive satisfaction l'esprit républicain
qui commençait à germer dans l'âme de ces jeunes citoyennes.
La
Société a invité tous les pères de famille à élever leurs enfants dans le
républicanisme, assemblage de toutes les vertus".
Cette
mise en scène est destinée à démontrer que le peuple français tout entier,
y compris les enfants, ici les deux petites filles, est mobilisé pour lutter
contre "les tyrans coalisés".
La
seconde scène de patriotisme se déroule le 17 août (30 thermidor).
Lors
de cette séance :
"le
jeune citoyen André Perroy a présenté à la Société un tableau qui est le
portrait de Le Peletier, qui est mort pour notre Liberté, et il a prié la Société
de le recevoir et de le placer dans la salle.
Ce
jeune citoyen a été accueilli et les honneurs de la séance lui ont
été accordés."
Nous avons là un exemple du culte voué a un "martyr" de la Révolution, Louis-Michel Le Peletier de Saint Fargeau avait été élu aux Etats Généraux par la noblesse de la ville de Paris. Il fut président de l'Assemblée constituante en 1790. Elu à la Convention, il vota la mort du roi. Le Peletier fut assassiné par un royaliste le 20 janvier 1793, les royalistes ne pouvant pardonner à cet aristocrate de haut rang d'avoir voté la mort de Louis XVI.
Les obsèques de Le Peletier furent la première manifestation d'un véritable culte et sa dépouille fut déposée au Panthéon, tandis que David faisait le tableau de sa mort. La révolution avait enfin son martyr à opposer aux nombreuses victimes qu'elle guillotinait, fusillait ou noyait.
Après avoir considéré la société populaire de Noaillan en tant qu'assemblée d'instruction civique et d'idéologie républicaine, voyons maintenant quels sont les divers domaines de la vie locale dans lesquels intervient le club.
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Nous allons analyser successivement les diverses interventions de la société populaire dans les domaines suivants : lutte anti-catholique, participation à l'effort de guerre nationale, surveillance et chasse aux suspects, action économique, assistance envers les indigents et administration locale.
Il s'agit ici de considérer l'action quotidienne du club de Noaillan, action limitée car strictement locale, bien évidemment. Mais la diversité des domaines dans lesquels intervient la société populaire, depuis la confection de charpie jusqu'à l'établissement du rôle des indigents, laisse entrevoir la place privilégiée que ces sociétés occupent dans la vie quotidienne des Français en 1794.
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Le club de Noaillan apporte sa contribution à la lutte anti-catholique menée en 1794. Ainsi, le 20 pluviôse (8 février 1794) :
"la Société délibère que toutes les viles images qui se trouvent dans la salle seront arrachées", la salle du club étant "la petite église ci-devant Saint-Michel".
Il s'agit donc d'un acte de vandalisme dirigé contre la religion catholique.
Puis, le 30 germinal (19 avril), la société engage la lutte contre les messes clandestines qui se déroulent dans sa région. En effet, lors de cette séance, à laquelle assiste le citoyen Latapy, agent national du district de Bazas, en commission dans le canton de Noaillan :
"on a rapporté qu'il y avait des citoyens qui, dominés par le fanatisme, allaient dans des communes voisines, pour assister à des cérémonies que faisait quelque prêtre qui ne s'était point encore rendu au voeu manifesté de tout le peuple en abdiquant son caractère de charlatan et d'hypocrite.
Le citoyen Latapy, après avoir démontré les faussetés, les mensonges, les absurdités dans lesquels les avaient entraîné les prêtres, a fait la motion d'exclure du sein de la Société tout membre qui irait dans ces communes voisines pour assister aux cérémonies de ce prêtre séducteur.
La Société a délibéré
à l'unanimité que celui des membres qui serait accusé d'avoir été dans les
communes de Fargues et de Pujols uniquement pour assister aux messes et vêpres
qui se diraient dans ces communes, sera exclu du sein de la Société".
La société participe évidemment à la célébration du culte de l'Etre suprême, d'inspiration nettement robespierriste. Ainsi, le 16 prairial (4 juin), la société populaire de Bazas invite-t-elle celle de Noaillan :
"à assister par commissaires à la fête de l'Etre Suprême, qui doit avoir lieu le 20 prairial dans toute la République et par conséquent au chef-lieu du district. Les citoyens Dartigolles et Dupuy ont été nommés commissaires pour y assister".
Enfin, la société de Noaillan dénonce les citoyens qui ne respectent pas le décadi, jour chômé du calendrier républicain, mais qui observent le repos dominical. Ces citoyens "dominés par le fanatisme" sont attaqués par la société lors de sa séance du 30 vendémiaire an III (21 octobre 1794). Le registre mentionne en effet que :
"beaucoup de membres se sont plaints de ce que les jours de décades n'étaient pas observés. Là-dessus, un autre membre a dit que le travail était une vertu républicaine ; que la fête de la décade était facultative et non impérative, qu'il n'y avait pas de bornes au travail qui était commandé par un zèle laborieux et quelques fois par le besoin.
Mais il proposait à la Société de regarder comme suspects ceux qui travailleraient les jours de décades et se feraient un scrupule de travailler le dimanche. La Société se propose de regarder comme suspects tous les citoyens qui se feraient un scrupule de travailler le dimanche et qui affecteraient de travailler le décadi, et ceux qui négligeraient les instructions républicaines".
Le club en veut finalement tout autant, voire plus, à ceux qui ne veulent pas travailler le dimanche, par sentiment du devoir religieux, le dimanche étant le jour du Seigneur, qu'à ceux qui travaillent le décadi. Il ne considère pas comme suspects les citoyens travaillant à la fois le décadi et le dimanche, mais seulement ceux qui travaillent le décadi et chôment le dimanche.
Bien évidemment, un bon républicain, débarrassé des anciennes "superstitions", doit s'efforcer de cesser le travail le décadi, pour aller assister aux instructions républicaines de la société populaire, et se faire un devoir de travailler le dimanche, qui pour lui n'est qu'un jour ordinaire consacré au travail promu au rang de "vertu républicaine", afin de bien montrer son mépris des anciennes pratiques.
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La République fait face à une coalition d'Etats européens. Tout le pays se mobilise pour venir en aide aux armées françaises. La participation de la société populaire de Noaillan à cette mobilisation nationale revêt trois aspects : la confection de charpie par les citoyennes, la fabrication de baïonnettes par les artisans et la formation d'un corps de volontaires.
En germinal, le club lance une campagne de production de charpie, qui s'adresse aux femmes, et destinée a venir en aide aux soldats français blessés au combat.
Le 17 germinal (6 avril 1794) :
"le président de la Société invite les
Elles se mettent rapidement au travail, car quelques jours plus tard, lors de la séance du 20 germinal (9 avril) :
"une députation de jeunes citoyennes a été introduite dans la salle et a déposé sur le bureau, et au milieu des applaudissements, une corbeille de charpie, fruit de quelques moments qu'elles ont dérobés au travail de la terre."
Et le 24 germinal (13 avril) :
"des
citoyennes de tous âges ont été introduites dans la salle et sont venues déposer
sur le bureau plusieurs corbeilles de charpie, fruit de leur reconnaissance pour
nos braves volontaires qui ont reçu d'honorables blessures en combattant pour
la Liberté.
Le
président de la Société les a invitées à redoubler leurs soins afin que
dans peu de temps la Société pût faire voir au chef-lieu du district
que dans nos campagnes aussi on s'occupe de tout ce qui peut intéresser au
bonheur de la République. Deux citoyens sont chargés d'apporter la charpie
ramassée par la Société au chef-lieu du district".
Remarquons que cette mobilisation patriotique se double d'une compétition entre les sociétés populaires de Noaillan et de Bazas, le club de Noaillan voulant montrer qu'il est aussi capable que celui de Bazas de fournir de la charpie pour les soldats blessés.
Notons aussi que seules les femmes sont astreintes à la confection de charpie. Or la société ne désigne pas de citoyennes mais des citoyens pour remplir la mission honorifique d'apporter cette charpie à Bazas.
Cependant, on se décide tout de même à rendre hommage au travail fourni par ces "vraies sans-culottes", puisqu'un citoyen :
"enthousiasmé par le zèle des citoyennes à faire de la charpie même pendant qu'elles assistaient aux instructions, a fait la motion de faire un tableau où seraient inscrits les noms de toutes les citoyennes qui s'occuperaient à faire de la charpie, et qu'il fût placé dans un coin de la salle, où il fût aperçu de tout le monde. Cette motion a été acceptée à l'unanimité".
Enfin, clôturons cette évocation de la campagne de confection de charpie orchestrée par la société populaire en mentionnant que, lors de la séance du 20 floréal (9 mai) :
"le président a lu une lettre venant de Langon, à l'adresse de la Société Populaire de Noaillan, écrite par le citoyen Rommefort, commissaire de la marine, qui nous faisait voir le besoin urgent de charpie dans divers forts de la République, et nous invitait à lui faire passer la quantité de charpie que nous pourrions avoir. La Société rappelle qu'elle avait fait passer au District non seulement la charpie, mais encore le mauvais linge qu'elle avait".
Les autorités militaires communiquent donc directement avec les sociétés populaires, preuve du rôle important que jouent ces dernières dans l'organisation de l'effort de guerre nationale.
Passons maintenant à la fabrication de baïonnettes. Nous avons vu que lors de sa séance du 30 germinal (19 avril) la société de Noaillan avait reçu le citoyen Latapy, agent national du district.
A cette occasion :
"le
citoyen Latapy, ayant donné connaissance à la Société d'une lettre qu'il
avait reçue de la Commission de Paris, qui lui mandait que la République avait
besoin de bayonnettes et l'invitait à mettre tous les ouvriers de son district
en activité pour la fabrication de ces armes favorites des français, a invité
tous les ouvriers du fer de cette commune à aller au District déclarer la
quantité de bayonnettes qu'ils voulaient faire, convenir du prix, et en prendre
le modèle.
Le
citoyen Latapy a invité la société
de vouloir prévenir les municipalités du canton
afin de faire la même
invitation aux ouvriers du fer de leurs arrondissements.
La Société a nommé quatre commissaires chargés de prévenir les municipalités du canton".
Il apparaît clairement, ici, que la société populaire est l'auxiliaire du premier fonctionnaire du district, un rouage essentiel pour la mise en place de la mobilisation économique au niveau local. L'agent national du district confie la mission de mobiliser les Ouvriers capables de fabriquer des baïonnettes à la société populaire, et non à la municipalité du chef-lieu du canton.
Voyons enfin comment la société a formé un corps de volontaires. C'est la dernière mais aussi la plus spectaculaire des mesures qu'elle a prises dans sa participation à l'effort de guerre nationale.
A la séance du 16 thermidor (3 août) :
"un
membre a dit que nous ne devions avoir rien de plus cher que la liberté, que c'était
le moment de frapper le grand coup, et il a proposé de former une compagnie de
volontaires, et qu'elle marcherait à l'ennemi après s'être présentée aux
autorités compétentes.
Il
a demandé qu'il fût ouvert un registre d'inscription pour recevoir les noms de
ceux qui voudraient s'inscrire. Sa motion, vivement appuyée, la Société a délibéré
à l'unanimité qu'il serait ouvert un registre d'inscription volontaire pour
recevoir les noms de ceux qui voudraient former une compagnie de volontaires, et
qu'elle partirait sur les frontières dès qu'elle serait portée à son
effectif complet.
Après cette délibération, le citoyen Lapujade, juge de paix, qui a été l'auteur de cette motion, s'est inscrit le premier, et il a été suivi de six citoyens".
La société ne se contente donc plus de consentir un effort matériel, ses propres membres vont payer de leurs personnes en constituant un corps de volontaires qui marchera à l'ennemi. Notons cependant qu'il est impossible de savoir ce qu'il est advenu de ces volontaires de Noaillan, car le registre du Club ne mentionne plus cette affaire après le 16 thermidor.
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Lors de la séance du 22 messidor an II (10 juillet 1794) :
"un
citoyen, membre de la Société Populaire de Bazas et membre du Comité Révolutionnaire
du même lieu, a fait un très long discours sur les manoeuvres qu'ourdissaient
les ennemis de l'intérieur, sur la nécessité de les connaître, de les dévoiler
et de les dénoncer aux autorités constituées, afin de consolider la République
en nous défaisant de tous ceux qui pourraient s'opposer à son affermissement.
La Société a promis de dévoiler tous les traîtres qu'elle reconnaîtrait".
Remarquons que l'expression "ennemi de l'intérieur" est très imprécise, ce qui semble indiquer que les partisans de la Terreur avaient une conception très large du délit de contre-révolution. Il faut noter aussi que c'est un membre du comité révolutionnaire de Bazas, et non un simple membre de la société populaire du chef-lieu du district, qui vient à Noaillan exhorter le club local à la vigilance.
En
effet, les comités révolutionnaires, ou comités de surveillance révolutionnaire,
disséminés au nombre de 20.000 sur tout le territoire de la République,
constituent l'infrastructure indispensable au règne de la Terreur.
Rappelons brièvement que, chargés à l'origine de surveiller uniquement les étrangers et les suspects, ces comités reçurent, par le décret du 17 septembre 1793, un pouvoir de police pour arrêter tous "les ennemis de la liberté".
Puis la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) les intégra dans l'organisation du gouvernement révolutionnaire sous le contrôle des Comités de salut public et de sûreté générale.
L'abandon de la Terreur après le 9 thermidor entraîne la disparition de tous ces comités locaux. D'autre part, ceux-ci remplissaient leur mission en étroite collaboration avec les sociétés populaires, les premiers comme les secondes constituant le support local de la politique montagnarde et terroriste mise en place à Paris.
D'ailleurs, le citoyen reçu par le club de Noaillan le 10 juillet 1794 est à la fois membre de la société populaire et du comité révolutionnaire de Bazas. Constatons aussi qu'il n'y a pas de comité de surveillance révolutionnaire à Noaillan, puisque cette commune dépend de celui de Bazas.
Mais qui sont ces "ennemis de l'intérieur", ces "traîtres" que la société populaire de Noaillan promet de traquer et de dénoncer au comité révolutionnaire de Bazas ?
Il s'agit de tous ceux qu'on nomme les "suspects". La loi du 17 septembre 1793 définit les suspects et ordonne leur arrestation. Sont réputés suspects, les ci-devant nobles et leurs parents, les personnes qui se sont vu refuser des certificats de civisme, et tous ceux qui :
"par leur conduite, leurs relations, leurs propos, leurs écrits se montrent partisans du fédéralisme et des ennemis de la liberté".
Robespierre fait encore élargir la notion bien vague de suspect par la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Cette loi ouvre la porte à tous les abus et inaugure l'ère de la Grande Terreur qui dure un mois et demi, jusqu'à la chute de l'Incorruptible.
La venue d'un membre du comité révolutionnaire de Bazas à la société populaire de Noaillan le 10 juillet 1794, pour appeler le club local à dénoncer les ennemis de l'intérieur aux autorités constituées, a donc lieu pendant la Grande Terreur.
Cependant, le registre de la société ne mentionne à Noaillan qu'un seul cas véritable de dénonciation. Il s'agit de l'affaire de Péquin de Calote, un sobriquet pour désigner un individu partisan des prêtres, évoqué à deux reprises. Tout d'abord, à la séance du 20 ventôse an II (10 mars 1794) :
"le
président de la Société a déclaré que nous avions dans notre sein des
esprits malins et corrompus qui cherchaient à faire périr les bons patriotes
pour arracher du supplice des ennemis de la Révolution.
Les
patriotes avaient eu le courage de dénoncer des partisans ayant à leur tête Péquin
de Calote et munis d'une pétition en faveur de Durenty, ci-devant curé,
dénoncé par les bons patriotes, arrêté par le Comité de Surveillance, et
traduit à Bordeaux par ordre du Représentant du Peuple.
Péquin
de Calote courait jour et nuit dans les différentes sections pour surprendre
les signatures de quelques bons citoyens, qui ne connaissaient point ce qu'il
leur présentait.
Le
Président a demandé alors que la Société ne conserve plus dans son sein des
êtres qui ne cherchent qu'à l'entraver dans les mesures qu'elle prend pour découvrir
et dénoncer les traîtres et les ennemis de la République.
La Société a arrêté à l'unanimité que ledit Péquin de Calote est provisoirement chassé de la Société et qu'elle examinera sa conduite. Ses complices subiront le même sort après la déposition de six citoyens qui ont été faire signer conjointement avec Péquin de Calote ledit écrit tendant à délivrer Durenty et à faire punir les sans-culottes qui l'avaient dénoncé".
Le club évoque à nouveau l'affaire Péquin de Calote à sa séance du 10 thermidor (28 juillet), au cours de laquelle :
"un
membre a dit qu'il était temps de faire connaître à la Société combien le Péquin
de Calote, déjà exclu de la Société, était coupable en ayant voulu faire périr
un grand nombre de républicains avec les corps constitués, pour sauver la vie
au traître Durenty, déjà touché par le glaive de la Loi ; qu'il était bien
prouvé que ce Péquin de Calote, avec Cadet Ferrand son complice, avaient été
séduire jusque dans leurs lits la signature de quelques bons mais trop faibles
patriotes, en leur disant qu'ils n'avaient rien à craindre, tandis qu'il ne
s'agissait de rien moins que de vouloir sauver la vie à un coupable, en faisant
perdre, s'il eût pu, tous les patriotes qui avaient eu la force de dénoncer le
traître Durenty.
Mais
ces citoyens dont il avait surpris la signature, ayant su le piège que Calote
leur tendait, étaient venus donner leur rétraction en déclarant qu'ils
avaient été séduits, ne sachant pas même ce qu'ils signaient, et le nombre
des rétractants était de 17.
Le
même membre demande qu'on prenne des mesures de sûreté à l'égard de Péquin
de Calote et son complice. Sur la motion de ce membre, la Société a délibéré
qu'il serait pris des mesures de sûreté convenables envers Calote et Cadet
Ferrand, et qu'en attendant ils demeurent exclus de la Société".
Dans cette affaire, on ne peut pas dire que la société se soit montrée très sévère à l'égard de Péquin de Calote. Le 10 mars, elle décide de l'exclure de son sein, et encore seulement à titre provisoire, et d'examiner sa conduite. C'est vraiment le minimum qu'elle puisse faire, face à un cas aussi flagrant de rébellion envers les autorités révolutionnaires.
Car les agissements de Péquin de Calote reviennent à s'opposer à la justice révolutionnaire, c'est-à-dire au comité de surveillance de Bazas et au représentant du peuple, qui ont tous deux décidé de traduire en justice Durenty, et à berner près de vingt "bons mais trop faibles patriotes" pour lui permettre d'arriver à ses fins.
Dans le contexte des premiers mois de 1794, il était on ne peut plus dangereux d'agir ainsi. Puis, le 28 juillet, la société se contente de confirmer l'exclusion de Péquin de Calote. Toutes ces décisions sont à la fois floues et clémentes, alors qu'elles sont prises le jour même de l'exécution de Robespierre, c'est-à-dire à un moment où la Grande Terreur sévit encore en province.
Or, à peine vingt jours avant que la société de Noaillan se montre aussi magnanime envers Péquin de Calote, elle promettait à un membre du comité révolutionnaire de Bazas "de dévoiler tous les traîtres qu'elle reconnaîtrait".
De plus, ce "terroriste" de Bazas :
"lui a fait un très long discours sur la nécessité de dénoncer les ennemis de l'intérieur aux autorités constituées",
ce que la société de Noaillan s'est bien gardée de faire, car à aucun moment il n'est venu à l'esprit des sociétaires de dénoncer Péquin de Calote au comité de surveillance ou à toute autre autorité, malgré les exhortations du sans-culotte de Bazas, restées donc lettre morte.
Reste maintenant à savoir pourquoi le club de Noaillan s'est montré aussi indulgent envers Péquin de Calote. Ce comportement empreint de mansuétude est peut-être dû au fait que l'intéressé était membre de la société.
Le club ne tenait pas sans doute à ce que les autorités sachent qu'un de ses membres était coupable d'agissements aussi éloignés de la conduite d'un bon patriote.
Ou bien alors la société est-elle foncièrement hostile aux mesures les plus "terroristes" et aux excès du régime policier instauré en France dans la première moitié de 1794.
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La société populaire a été confrontée au grave problème de la pénurie des subsistances, car toute la région se trouve plongée dans une situation de disette. Le club se tient informé des mesures prises par les autorités du district et du département pour améliorer le ravitaillement.
Ainsi, à la séance du 7 germinal (27 mars 1794), le citoyen Lapujade, viceprésident de la société, prend la parole en ces termes :
"J'étais
présent au Directoire du District de Bazas, qui a reçu une lettre envoyée par
le Directoire du District de Bordeaux et écrite ainsi : Nous nous empressons de
vous demander l'état de la population de votre district pour que nous puissions
vous faire passer des subsistances, selon votre population et vos besoins".
La
situation dans la région de Noaillan est certainement critique, car le registre
mentionne juste après : "A cette nouvelle, la salle retentit de mille
cris de joie".
Mais le club ne se contente pas de se tenir informé des mesures concernant les subsistances. Il fait aussi appliquer les décisions prises par les autorités du district.
En effet, à la séance du 8 messidor (26 juin) :
"le
président communique à la Société un arrêté pris par le District de Bazas,
concernant le transport des grains d'une commune dans une autre, et conçu en
ces termes : Considérant qu'on commençait déjà à enlever secrètement et à
un prix, exorbitant le bled de la nouvelle récolte, le District de Bazas avait
arrêté que toute personne qui passerait portant du bled serait arrêtée,
qu'on lui demanderait d'où elle l'avait tiré, à qui et combien elle
l'avait acheté.
Sur
cet arrêté, le président a invité tous les membres à empêcher ce commerce
honteux tendant à faire continuer la famine. Il a invité en outre la Société
à dénoncer ceux qui avaient commercé l'argent, qui l'avaient agioté, pour
qu'ils fussent punis conformément aux lois".
La société populaire entend donc rechercher et dénoncer tous ceux qui achètent et vendent des céréales "à un prix exorbitant", c'est-à-dire à un prix excédant le prix de vente maximal fixé par les lois du maximum de mai et septembre 1793. Il s'agit de pourchasser les mauvais citoyens qui enfreignent la législation en vendant leur récolte au plus offrant, c'est-à-dire à de riches particuliers.
Mais la société de Noaillan a beau dénoncer les agioteurs qui stockent les produits alimentaires de première nécessité et les vendent à des prix très élevés au marché noir, elle ne peut que constater que la législation des prix maximaux n'est pas appliquée.
C'est pourquoi le 30 vendémiaire an III (21 octobre 1794) :
"la
Société a délibéré, après de grandes discussions sur ce que les lois du
Maximum ne sont pas exécutées, que le Comité de correspondance rédigerait
une adresse à la Société de Bazas, que cette adresse serait lue décadi
prochain, et que si elle était adoptée, elle serait envoyée à la Société
de Bazas, qui serait invitée à prendre des mesures afin de donner pleine exécution
à ces lois".
Il est intéressant de constater que dans cette affaire la société populaire de Noaillan ne s'adresse pas à l'administration du district de Bazas, mais à son homologue du cheflieu du district. Cependant, dès la séance suivante, le 10 brumaire (31 octobre), la société de Noaillan annule sa résolution du 30 vendémiaire.
En effet,
"un membre a dit que la dernière séance la Société avait délibéré de faire une adresse à la Société de Bazas relativement à l'inexécution des lois du Maximum, mais qu'un décret annulant toute adresse ou pétition faite en nom collectif existait. Ce membre a donc demandé le rapport de cette délibération".
Les lois du maximum seront abolies par la Convention thermidorienne le 4 nivôse an III (24 décembre 1794). La société a donc tenté, vainement semble-t-il, de faire appliquer la législation du maximum dans son canton. Elle est intervenue aussi dans la rédaction du rôle des indigents, pour mettre fin à la fraude.
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Le 30 germinal an II (19 avril 1794) :
"la
Société délibère que le tableau, que la Municipalité doit faire, des
citoyens qui ont part aux secours que la Nation accorde aux indigents, serait
apporté dans le sein de la Société et y resterait pendant trois séances consécutives,
puis serait de suite envoyé au District".
Les décrets de ventôse étaient donc correctement appliqués à Noaillan. Ces décrets des 8 et 13 ventôse an II (26 février et 3 mars 1794), votés à l'instigation de Robespierre et sur rapport de Saint Just, stipulent que les biens sous séquestre de 300.000 émigrés et suspects seront distribués gratuitement aux indigents.
Les municipalités doivent dresser la liste des bénéficiaires, la procédure se déroule ainsi à Noaillan, les dossiers des suspects devant être examinés par des commissions populaires.
La procédure prévue par les décrets de ventôse représentait en fait une colossale entreprise d'expropriation et de redistribution, mais elle n'eut guère qu'une ébauche de réalisation, les décrets ayant cessé d'être appliqués à la mort de Robespierre.
Comme prévu par ces décrets, la municipalité de Noaillan établit la liste des indigents de sa commune, la société populaire n'étant absolument pas habilitée à rédiger cette liste. Mais très vite la société est amenée à intervenir. En effet, le 10 floréal (29 avril) :
"le
président de la Société a fait la lecture d'une liste que la Municipalité a
remise sur le bureau, où étaient inscrits les noms de tous ceux qui ont eu
part au secours accordé aux indigents.
Et sur cela s'étant élevée quelque discussion, la société a délibéré qu'elle nommerait deux commissaires qui se joindraient à la Municipalité pour réviser cette liste. Les deux commissaires présentés ont été agréés. Et la Société a invité la Municipalité à nommer deux commissaires pris dans son sein, afin de réviser la liste et de mettre fin à toutes discussions".
Le club entend donc établir une commission composée de quatre membres destinée à "réviser" le rôle des indigents, car la liste présentée par la municipalité a suscité "quelque discussion".
En clair, cela signifie que des citoyens pas vraiment dans le besoin se sont faits attribuer le statut d'indigent, de manière à bénéficier des divers dons que la Convention accorde aux pauvres.
D'ailleurs, à la séance du 20 floréal (9 mai) :
"un
membre se plaint qu'il y avait eu des citoyens qui avaient eu part aux divers
secours de subsistance qui avaient été distribués, sans être réellement
dans le besoin, et au détriment des citoyens indigents. La Société a délibéré
qu'elle nommerait quatre commissaires pris dans son sein pour présenter une
liste exacte des indigents, afin d'éviter toute sorte de fraude".
Il y a donc bien eu fraude dans l'attribution du statut d'indigent. Dans quelle mesure la municipalité, chargée de répertorier les indigents de sa commune, est-elle responsable ?
Il est impossible de le savoir. Mais, pour le coup, la société populaire ne désigne plus deux, mais quatre commissaires chargés de rédiger un rôle des indigents conforme à la réalité.
Cependant, ce n'est pas avant le 18 messidor (6 juillet), que :
"la Municipalité a pris un arrêté pour inviter la Société Populaire à nommer quatre commissaires pris dans son sein, pour se réunir à elle afin d'effectuer le rôle bienfaisant des secours que la République doit accorder aux indigents.
Quatre citoyens ont été nommés commissaires pour se joindre décadi prochain
à la Municipalité, pour, de concert avec elle, procéder à la confection du rôle
des indigents".
Ainsi, se termine cette affaire de la rédaction du rôle des indigents, au profit, peut-on dire, de la société populaire, et au détriment de la municipalité. En effet, cet épisode aboutit à l'ingérence de la société dans l'administration locale.
Voyons maintenant quelles sont les autres affaires locales dans lesquelles la société est intervenue.
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Les
interventions
dans l'administration locale.
En premier lieu, mentionnons la contribution pécuniaire de la société de Noaillan à l'établissement d'une imprimerie à Bazas. Le 26 germinal (15 avril) :
"le président de la Société a lu en séance une lettre venant de la Société Populaire et Montagnarde de Bazas, qui nous prévenait que le District de Bazas, de concert avec la Société Populaire, se proposait d'établir à Bazas une imprimerie, et nous invitait à contribuer aux frais de cette imprimerie.
La
Société a délibéré qu'il y aurait deux commissaires qui seraient chargés
de recevoir les dons que chaque membre voudrait faire pour contribuer aux frais
de l'imprimerie de Bazas".
Puis la société entreprend une autre action d'intérêt local, dans un domaine différent.
Le 30 fructidor (16 septembre) :
"un
citoyen a proposé de nommer des commissaires pour aller vers la Municipalité
l'inviter à enjoindre aux citoyens qui le doivent de rendre praticable le
chemin du chai, après avoir exposé les difficultés de ce chemin
impraticable".
Enfin, une dernière action se déroule en vendémiaire an III. Tout débute à la séance du 10 vendémiaire (le premier octobre), au cours de laquelle :
"un membre a expose a la Société que, venant
dernièrement de l'autre côté du Ciron, quantité de bois que Marès,
commissaire envoyé à cet effet par le Département et le Représentant du
Peuple, avait jeté à l'eau, et dont pas une seule bûche n'était encore
parvenue à sa destination, l'avais mis, en passant l'eau dans un si grand
embarras, qu'à peine il avait pu se dégager, et que les quais de tout temps
libres et en usage, étaient aujourd'hui embarrassés, ce qui était contre le
droit de ce passage.
Il
a donc proposé de faire une adresse à la Société du chef-lieu du
district, pour y représenter tous les actes que se serait permis de son chef
sans y être autorisé, et tous les préjudices qu'il aurait porté aux Républicains
habitant les côtés du Ciron.
Sa
proposition a été adoptée. Dartigolles, auteur de cette motion, a été chargé
de la rédaction de cette adresse. Il a dit qu'il était délégué pour se
rendre dans le canton La Hure (SaintSymphorien), qu'il inviterait les Sociétés
y existant à faire les mêmes démarches parce qu'elles éprouvaient sans doute
les mêmes vexations et qu'il inviterait toutes les Sociétés voisines à
parler là-dessus".
La société entend donc protester contre les agissements de Marès qui a fait jeter dans le Ciron une trop grande quantité de billes de bois, ce bois devant parvenir jusqu'à Bordeaux en flottant sur le Ciron puis sur la Garonne.
Or tout ce bois éparpillé sur la rivière rend la traversée très difficile.
Le moyen qu'a choisi la société pour protester mérite d'être relevé.
En effet, le club ne s'adresse pas à l'Administration mais choisit d'envoyer une adresse présentant ses doléances à la société populaire de Bazas, qui est, rappelons-le, la seule société affiliée à celle de Noaillan.
De plus, la société populaire de Noaillan a l'intention de faire appuyer sa démarche par toutes les sociétés de la région du Ciron, en les engageant à écrire comme elle à la société du chef-lieu du district.
L'affaire Marès est évoquée à nouveau à la séance du 14 vendémiaire (5octobre), au cours de laquelle :
"le
citoyen Lapujade, juge de paix, a dit que la Société avait délibéré de
faire une adresse à la Société de Bazas, dans laquelle serait décrite la
manoeuvre de Marès, que cette adresse rédigée avait paru à la Société,
qu'on l'avait ensuite envoyée à Bazas sans la faire signer.
Aujourd'hui,
un membre de la Société de Bazas la rapportait, disant qu'elle avait été
accueillie, qu'on la trouvait fort à propos, mais qu'on en réclamait la
signature et le scellé de la Société de Noaillan.
Il
la remettait donc sur le bureau pour qu'elle fût signée. Le citoyen Dupuy a
observé que dans cette adresse il approuvait certaines choses, mais qu'il
ignorait que Marès eût promis à certains de ses adjudants 1.000 livres et la
table pendant 15 jours si dans cet intervalle ils lui faisaient parvenir le bois
à Bordeaux, disant qu'il ne serait pas en peine de les leur donner puisqu'il
avait 40.000 livres assurées.
Ce
citoyen déclara que si quelqu'un faisait la preuve de cela ou en restait garant
à la Société, il signerait volontiers, sûr de prouver le reste de l'adresse.
Le
citoyen Lapujade a dit qu'il prouverait et qu'il serait garant de cet article;
qu'étant à Villandraut, ce Marès avait dit qu'il avait encore plus de 40.000
et même de 50.000 livres, et qu'il l'avait dit en présence de dix témoins.
Lapujade, garant de cet article, a demandé l'envoi de cette adresse dans le plus bref délai".
On voit que tous les arguments sont bons pour Marès.
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Un phénomène de désaffection à l'égard du club se manifeste pendant toute sa période d'existence, mais il est particulièrement important dans les derniers mois.
Dès la huitième séance, le 20 ventôse (10 mars):
"un membre se plaint de la négligence de certains membres, parmi lesquels Garrau, à assister aux séances, et rappelle un de nos statuts qui porte que les membres qui manqueront douze séances de suite seront chassés de la Société si les raisons qu'ils apportent ne sont pas valides.
Sur cette observation, la
Société arrête que si Garrau ne se présente pas à la séance prochaine, il
sera exclu de la Société et observé dans sa conduite".
Donc, dès les débuts de la société, certains clubistes négligent d'assister régulièrement aux séances. Peut-être est-ce le signe que la société n'a pas admis que de zélés sansculottes. Notons que le club considère les mauvais sociétaires comme des suspects, car il prévoit de les "observer dans leur conduite" après les avoir exclus.
Plus tard, en floréal et prairial, le registre témoigne du peu d'empressement des clubistes d'assister aux séances.
Ainsi, le 24 floréal (13 mai), le renouvellement du bureau ne peut être effectué car "la Société ne s'est pas trouvée assez nombreuse". A la séance du décadi 10 prairial (29 mai), le club ne peut pas prendre de délibérations sur divers sujets car le quorum n'est pas atteint.
Le lendemain, "la Société ne s'étant pas trouvée nombreuse, on s'est occupé seulement de la lecture des nouvelles", tout comme le 18 prairial (6 juin).
De la mi-mai au début de juin, la société connaît donc une crise de désaffection manifeste. Un mois après, au début de juillet, le club dénonce les membres qui n'assistent même pas aux séances du décadi.
Ainsi, le 20 messidor (8 juillet) :
"un
membre s'est plaint du peu d'exactitude que mettaient les membres à assister
aux séances le jour de repos consacré a l'instruction du peuple, aimant mieux
rester dans un coin de cabaret que de se rendre aux instructions. Il a demandé
que la Société prît des délibérations pour leur rappeler leur devoir, ou
sinon les déclarer suspects. La Société, sur cette motion, a délibéré que
tout membre qui manquerait quelqu'une de ses séances les jours de décadi pour
passer ce temps à boire dans un cabaret, serait exclu de la Société".
Cette mise en garde s'avère efficace puisque le club est débarrassé de ce problème de désaffection pendant quelques mois, ce qui signifie que la chute de Robespierre n'a pas entraîné une vague de désertions, tout au moins à court terme. Les clubistes restent assidus aux séances jusqu'à la fin de septembre.
Le manque d'assiduité revient au coeur des débats à la séance du 30 vendémiaire an III (21 octobre), au cours de laquelle :
"un
membre a dit que tous les jours il voyait le zèle des citoyens se refroidir et
tomber dans des torpeurs sensibles, qu'il était nécessaire de retirer du
sommeil ces esprits léthargiques, de rallumer leur zèle, que l'âme d'un Républicain
révolutionnaire ordinairement entouré de perfides envieux devait être
toujours surveillante.
Il
déclara à la Société qu'on ne peut mieux reconnaître l'indifférence des
citoyens que lorsqu'ils négligent d'assister à des assemblées d'instruction républicaine".
Un sentiment de lassitude s'installe donc, à peu près à partir de la fin septembre. Il s'agit peut-être d'une conséquence à moyen terme du 9 thermidor. En tout cas, le contexte politique de la réaction thermidorienne n'a certainement pas incité les Jacobins de Noaillan à continuer à assister aux séances.
Mais le compte rendu de la séance du 26 brumaire (16 novembre) nous apprend que la désaffection est due aussi à une cause locale. En effet, lors de cette séance :
"des
murmures violents se sont élevés contre la négligence et la froideur des
membres à se rendre à la séance. Certains ont dit que depuis que la Société
était sans messager, la difficulté d'avoir des nouvelles a beaucoup ralenti le
zèle des membres, et qu'il était à craindre que la Société ne se perdît,
chose honteuse pour ses membres, mais qu'il n'était pas question de laisser
tomber une Société, centre où ses membres, venant jouir de la seule
satisfaction que peuvent avoir des Républicains, trouvaient un délassement
sensible des peines de la vie. Chacun a fait connaître le désir qu'ils
auraient d'y venir souvent, et pour cela, ont-ils dit, il est nécessaire
d'avoir un messager".
Mais le déclin du club, désormais irrémédiable, ne peut être enrayé, d'autant plus que les sociétaires s'avèrent incapables de s'attacher les services d'un messager.
A la séance du 10 frimaire (30 novembre), l'avant-dernière d'après le registre, c'est un véritable réquisitoire qui fustige les clubistes qui ont fait défection :
"Un
membre a dit que depuis quelques temps la Société était tombée dans une
torpeur méprisante pour les sociétaires, que plus personne ne s'y rendait, et
il en attribuait la cause en partie au défaut de messager, si nécessaire à
notre Société puisque dans les temps où nous en avions un la Société
s'était toujours réunie avec un zèle remarquable.
Il
a dit que non seulement le mépris mais encore l'infamie seraient voués à la mémoire
d'une Société qui dans son principe avait montré de l'ardeur, mais qui au
bout de dix mois se laissait aller en décadence par l'insouciance et le peu de
zèle de ses membres.
Il
a ajouté que cependant, Villandraut, notre commune voisine, qui devrait
attendre l'exemple du chef-lieu du canton, était au contraire dans le cas
de nous le donner. Depuis quatre ou cinq années que leur Société existe,
jamais elle n'a rien perdu de sa vigueur.
Quelle
différence, citoyens ! Cinq années de vigueur avec continuation ; près de dix
mois après lesquels nous voyons notre Société pour ainsi dire à sa fin.
Qu'elle
est heureuse et précieuse cette différence, pour eux. Et pour nous, qu'elle
est infamante et avilissante. Epargnons-nous, citoyens ce mépris, cette
infamie, et dorénavant réunissons-nous avec zèle.
Je demande un messager".
Et le compte rendu de séance ajoute presque stupidement :
"cette demande a été appuyée mais la délibération n'a pu s'en suivre, n'étant pas en assez grand nombre".
Cette séance dramatique n'est pas le dernier acte de la société populaire de Noaillan, car le registre mentionne encore une séance datée du 20 frimaire an III (10 décembre 1794).
Mais il est fort probable que durant ses dernières séances, le club, amputé par de multiples défections, était réduit à un noyau de Jacobins irréductibles.
A la lecture du registre de la société populaire de Noaillan, on est partagé entre deux sentiments. D'une part, on peut penser que ce club a été une émanation de la Terreur.
Plusieurs arguments militent en ce sens, comme évidemment la date de création de la société (janvier 1794), les conditions mêmes de cette création (la célébration de la reprise de Toulon "sur les vils satellites de la tyrannie", l'action du club en matière d'idéologie républicaine, la célébration des grands "martyrs" de la Révolution que sont Beauvais de Préau et Le Peletier, tous deux victimes des royalistes, la condamnation par la société de pratiques liées à, l'Ancien Régime, feu de joie, messes clandestines ou la formation d'un corps de volontaires issus du club.
Mais, d'un autre côté, on a l'impression que la société fait preuve de modération si on considère sa relative indulgence à l'égard du contre-révolutionnaire Péquin de Calote, son enthousiasme à condamner "Catilina Robespierre" et surtout que ses adhérents sont loin d'être tous de fervents Jacobins.
En effet, de nombreux clubistes ne paient leur cotisation qu'après avoir été rappelés à l'ordre et n'assistent pas régulièrement aux séances. Dans les derniers mois de 1794, il semble même que le club soit amoindri par une véritable vague de désertions.
On peut en déduire que le personnel de la société se composait probablement de deux fractions inégales. Tout d'abord, un noyau, minoritaire numériquement, de "convaincus", parmi lesquels certainement les membres fondateurs qui occupent quasiment en permanence les postes du bureau, qui font les principales motions, représentent le club à l'extérieur et fustigent les membres qui font défection.
D'autre part, une grosse majorité de "suiveurs", qui ne participent pas réellement à la vie interne de la société, rechignent à payer leurs cotisations, manquent aux séances, parfois même à celles du décadi, et qui, pour finir, lassés par le militantisme et impressionnés par la réaction thermidorienne, quittent le club pour ne plus y revenir.
Ainsi, en décembre 1794, la société populaire de Noaillan s'évanouit brutalement, l'incertitude régnant sur la date exacte de sa disparition devançant ainsi la décision de la Convention, qui arrête le 23 août 1795 que :
"toute assemblée connue sous le nom de Club ou de Société Populaire est désormais dissoute".
Réalisée le 20 février 2003 | André Cochet |
Mise sur le Web le février 2003 |
Christian Flages |
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