Castelnau-de-Cernès.

Une juridiction sous l'Ancien Régime.

 

 Henri PORTES.

qui a bénéficié de l'importante documentation réunie par M. Jean Dartigolles.

 

Article paru dans le n° 81 des

"Amitiés Généalogiques Bordelaises."

 

2 rue Sicard 33000 Bordeaux, Téléphone 05.56.44.81.99

 

Les "Amitiés Généalogiques Bordelaises" possèdent d'importantes bases de données généalogiques en particulier sur le Bazadais. 
Celles-ci peuvent être d'un grand secours pour les recherches de filiation. 
De très nombreux registres paroissiaux sont retranscrits et disponibles.

 

Deux jugements rendus par la juridiction de Castelnau-de-Cernès

Le crime d'André Larrieu.

Les évasions de Jacques Douelle.

 

Le dépouillement des actes notariés entraîne souvent le lecteur vers de plus amples recherches. 

Ainsi, lors de recherches généalogiques, constatant que Me Darthial (Notaire à Saint-Symphorien de 1721 à 1776)mentionnait toujours sa qualité de notaire à Saint-Symphorien, juridiction de Castelnau-de-Cernès en Albret, sénéchaussée de Casteljaloux, il m'a semblé intéressant d'en savoir un peu plus sur cette juridiction de Castelnau-de-Cernès.

Où se trouvait le pays de Cernès et plus précisément sa juridiction ? 

Comment se situait cette dernière dans les degrés judiciaires de l'Ancien Régime ? 

Quelle était son histoire, sa compétence ?

Le Pays de Cernès

Dès le XIIe siècle, le Pays de Cernès formait un archiprêtré dont le chef-lieu était Gradignan. 

A l'origine, son nom était " Pays de Sarnès". Il regroupait le Comté d’Ornon, la Prévôté de Barsac, plusieurs baronnies (La Brède, Saucats, Beautiran, Portets, Podensac), le marquisat de Landiras et des seigneuries (Cabanac, Budos, Saint-Magne, Villandraut, Belin, Castelneau-de-Cernès, Noaillan...) ainsi qu’une partie de la Baronnie de Veyrines (Pessac).

Les justices seigneuriales au sud de la Gironde et à l'ouest du Ciron étaient celles de Budos, Landiras, Noaillan (à cheval sur le Ciron), Villandraut, Cazeneuve, Castelnau-de-Cernès, et Saint-Magne.

La justice de Castelnau-de-Cernès couvrait à coup sûr les paroisses de Saint-Léger, Saint-Symphorien, Origne, Balizac, Hostens (et par conséquent ce qui constitue actuellement la commune de Louchats qui en faisait alors partie et qui n'est devenue autonome que sous le Second Empire) et enfin Le Tuzan.

Les degrés de juridictions sous l'Ancien Régime : 

Il y avait trois degrés de juridictions : la Seigneuriale, la Sénéchale et la Parlementaire. 
- la Seigneuriale était autonome et échappait au contrôle royal.
- le Parlement était une "Cour souveraine" sur laquelle le roi n'avait aucune prise sauf pour faire enregistrer ses édits avec le cérémonial très solennel du "Lit de Justice".

Lit de justice, siège ou tribune occupé par les rois de France, lorsqu’ils assistent aux sessions de la Cour royale appelée le Parlement.
Dans l’histoire de la justice française, ce terme est également employé pour caractériser une session du Parlement, tenue en présence du roi afin d’annuler des décisions déjà prises ou de forcer l’adoption d’édits ou d’ordonnances royaux, préalablement rejetés par le Parlement. 
Cet usage repose sur l’idée que, en la présence du roi, le Parlement perd l’autorité.


- le seul degré de Justice qui soit réellement dans la main du roi était la Sénéchaussée. Le sénéchal était un Officier Royal et le Procureur du Roi auprès de ce tribunal représentait les intérêts du souverain et de la collectivité. C'est la sénéchaussée qui avait à connaître des appels des jugements.

Juridiction de Castelnau-de-Cernès : 

Le Château de Castelnau-de-Cernes était compétent en matière de justice seigneuriale. 

Il est mentionné au XIIIe siècle comme appartenant à la famille d'Albret. Il était la résidence préférée d'Amadieu (1265-1326) et de sa femme Rose Dubourg. En 1341 il est toujours en possession de la famille d'Albret alors que nous sommes sous l'occupation anglaise. 

Les Albret ayant pris parti pour le roi de France, le château leur est confisqué; vers 1436 il est gravement endommagé lors d'un siège. Réparé, il est abandonné à partir de 1595. La seigneurie passera par vente dans plusieurs familles mais demeurera jusqu'en 1789 le siège de la juridiction de Castelnau-de-Cernès, dans la sénéchaussée de Casteljaloux.

Cette juridiction seigneuriale siégeait, jusqu'à sa disparition au moment de la Révolution, dans une maison appartenant à présent à la commune et située sur la place de Saint-Léger-de-Balson presque en face de l'église. 

La prison occupait les sous-sols voûtés de cette maison, éclairés par deux soupiraux ; elle pouvait accueillir deux prisonniers. Cet endroit sert aujourd'hui de cave.

A l'origine, au Moyen Age, et principalement aux XIIIe et XIVe siècle, c'est le roi d'Angleterre duc d'Aquitaine qui accorde aux seigneurs locaux les droits de justice.

La haute justice jugeait toutes les causes civiles ou criminelles, en dehors des cas royaux : droit de bannies et sentences d’appropriement, puissance de mort et connaissance des délits qui l’emportent, droit de confiscation et d’épaves.

La moyenne justice apparue au XIV° siècle ne prononçait que des amendes ou la peine de prison : une certaine compétence criminelle, juridiction de police, juridiction gracieuse.

La basse justice, tribunal de simple police : droits et devoirs dus à la cause du fief, bornage des chemins, toutes actions personnelles, réelles et mixtes.

Les limites de compétence de ces trois justices était généralement imprécises et cela dans tout le royaume. Cela allait des affaires dont serait saisi de nos jours le tribunal d'instance jusqu'aux affaires criminelles comme le prouve ce jugement rendu par la juridiction de Castelnau-de-Cernès.

Par exemple, le 6 octobre 1783, le même tribunal de Castelnau se dessaisit de lui-même du cas d'Arnaud Pujeau qui a assassiné sa femme, entre les mains du juge de Nérac à qui l'on envoie le dossier et le prisonnier pour la suite utile et le texte précise que ce "cas royal" n'est même plus de la compétence du juge du Présidial de la sénéchaussée de Casteljaloux et qu'il faut l'adresser à Nérac.

Les Constituants ont voulu réagir contre les abus de que l'on a appelé les "justices de villages" en mettant en place une juridiction nouvelle et originale, caractérisée par la simplicité, la rapidité, la gratuité et l'équité. 

Les quelques 70000 justices seigneuriales ont été remplacées par 7.000 juges cantonaux puis environ 3.000 au XIX° siècle avec de nouvelles compétences.

A Saint-Léger de Balson les dernières audiences de la Cour se sont tenues à la mi-décembre 1790.

Pierre Martin fut le dernier juge de paix de la juridiction de Castelnau-de-Cernès et premier juge de la commune, jusque dans les années 1830.

Henri Portes.

 

 

Le crime d'André Larrieu. 

Premier novembre 1745 : 

André LARRIEU était un gemmier de St LEGER âgé de 26 ans. 

Un jour, à l'auberge, il avait entendu le fils de Pierre JAUGUERRE, le charbonnier, dire que son Père avait un confortable magot. 

Il avait trop parlé; cela avait donné des idées à LARRIEU. 

Au matin du Jour de la TOUSSAINT de 1745, sur le coup de 10 heures, tous les habitants du village, à peu près sans exception étaient à la messe. 

LARRIEU s'arrangea pour s'esquiver. Il savait bien qu'il ne pourrait pas trouver de meilleur moment pour rejoindre la cabane de JAUGUERRE et surtout pour l'y trouver seul.

JAUGUERRE, charbonnier, ne pouvait quitter ses meules de bois en train de se carboniser, Le risque était trop grand. C'est pour cela qu'il n'avait pu aller à la messe. 

Il n'habitait pas une maison, mais une simple cabane de fortune telle qu'en construisaient les charbonniers au plus près de leurs meules qu'ils devaient surveiller jour et nuit. 

LARRIEU arrive chez JAUGUERRE, se saisit d'une hache et assomme le malheureux avec le dos de l'outil. Mais il a affaire à forte partie. JAUGUERRE se débat. LARRIEU tient toujours la hache et au cours de la lutte, accessoirement, coupe deux doigts de la main droite du pauvre homme.

Il finit par l'emporter et laisse sa victime pour morte. Il lui vole sa bourse où se trouvent 204 Livres, une somme conséquente représentant approximativement la valeur de huit vaches ou de 80 moutons. Après quoi, pour effacer toute trace, il met le feu à la cabane.

Voilà que la messe est finie. En sortant de l'église, les gens aperçoivent une fumée suspecte. On se précipite. On tire le corps de JAUGUERRE du feu.

Il est brûlé, très, très mal en point, mais vivant. Il peut désigner son agresseur. Le Procureur se rend à son chevet car on l'a recueilli à l'auberge où on le soigne en lui faisant prendre des bouillons car on ne sait quoi lui faire d'autre. 

L'affaire est enclenchée ... 

André LARRIEU est "décrété de prise de corps" et incarcéré dans la prison de SAINT LEGER. Passons sur l'instruction comme sur tous les détails de la suite, et venons en au Jugement.

La sentence est rendue le 21 janvier 1746. 

André LARRIEU est condamné 

" à être remis entre les mains de l'exécuteur de la Haute Justice, tête nue et en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, pour être conduit devant la porte principale de l'église paroissiale de SAINT LEGER pour y faire amende honorable, tête nue et à genoux, dire et déclarer à haute voix que méchamment il a commis les crimes cy dessus exposés dont il s'en repent et demande pardon à Dieu , au Roy et à la Justice; de là, il sera conduit par ledit exécuteur au devant de la porte du présent parquet pour être attaché à une potence, où elle sera dressée, pour être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort naturelle s'ensuive."

Condamnons ledit LARRIEU envers le Seigneur de la présente Juridiction en cent Livres d'amende, et en celle de trois cents Livres envers ledit JAUGUERRE pour lui tenir lieu de dommages et intérêts, et aux dépens envers ceux qui les ont faits..." 

Le Seigneur ne verra certainement jamais ses 100 Livres, ni JAUGUERRE les siennes; où LARRIEU, déjà couvert de dettes, serait-il allé les chercher ? 

Ce qui est réconfortant, c'est de savoir que peut-être grâce aux bouillons de l'aubergiste, le 21 Janvier 1746, même avec deux doigts en moins, JAUGUERRE vivait encore. Il avait la peau dure, certainement très dure même...

Jean Dartigolles.

Les évasions de Jacques Douelle.

 (Août 1771 et Janvier 1772) 

Jacques Douelle était une sorte de marginal sans profession, âgé de 22 ans et vivant au lieu-dit Laulan, sur la Paroisse de Léogeats. Il était nous dit-on : "atruandi à mandier pour amasser sa vie..." A mendier, certes, mais aussi à voler. 

Par le plus grand des hasards, il s'était fait prendre à la suite d'un vol qu'il avait commis au lieu-dit Triscos, sur la paroisse de Balizac. Il y avait volé, entre autres choses, un gilet rouge un peu trop voyant. 

Il l'avait revêtu , un certain dimanche pour aller à la messe à Léogeats. Il se trouva que ce jour là, par un hasard à peine croyable, le propriétaire du gilet vint assister au même office alors que ce n'était absolument pas sa paroisse.

La victime partit chercher du renfort et Douelle fut capturé par un commando formé par les victimes de ses exactions, et ceci dans des conditions absolument rocambolesques qu'il serait trop long de rapporter ici.

Le 13 Août 1771, sous bonne escorte, il fut conduit devant le Juge de Castelnau-de-Cernès. Mais comme la prison de Saint-Léger était pour lors occupée, rappelons qu'elle n'avait que deux places , Douelle fut conduit à celle de Cazeneuve qui se trouvait dans le Bourg de Préchac. 

Dans la nuit du 23 au 24 Août, il s'en évada en forçant la porte de sa cellule dont il avait tordu le verrou jusqu'à le sortir de son logement creusé dans la pierre. Ce Jacques Douelle devait être une forte nature ... 

Le 7 Octobre, il fut repris par la maréchaussée et reconduit en sa prison entre deux cavaliers. Celle de Saint-Léger s'étant libérée dans l'intervalle, il y fut transféré afin de faciliter l'instruction de son procès. 

Le Dimanche 26 Janvier 1772, à la sortie de la messe paroissiale, coup de théâtre ! Jacques DOUELLE s'était encore évadé. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Que s'était-il donc passé ?

Louis BOURDET, le geôlier, nous le raconte le lendemain : 

" hier, jour de Dimanche, ayant porté audit prisonnier son pain et de l'eau, ayant bien clos et fermé les prisons, je suis allé entendre la sainte messe... et à mon retour, j'apprends que ledit Douelle a arraché une barre de fer qui fermoit une lucarne qui donnoit le jour auxdites prisons, alors que tous étaient à entendre la sainte messe..." 

L'enquête qui s'ensuivit nous apprend que la "lucarne est à dix pieds( 3 m 20 environ) de hauteur du sol et il paroit impossible qu'un homme pu y monter sans échelle". 

Mais Douelle était plein d'invention. Avec la paille abondante qu'on lui avait fournie pour son couchage, il avait tressé une corde et utilisant ses deux sabots enfoncés à force dans les anfractuosités du mur, il s'était fait un escalier pour atteindre l'ouverture et desceller la barre de fer insuffisamment engagée dans une pierre jugée trop "molle". 

Dès lors l'évasion ne fut plus qu'un jeu d'enfant puisque la lucarne franchie, Douelle s'était retrouvé sensiblement au niveau du sol extérieur. 

Est-il besoin de décrire l'émotion que cette spectaculaire évasion put soulever dans Saint-Léger ?

En tous cas, il est bien probable que les prisonniers suivants ont disposé de moins de paille pour leur couchage, payant ainsi par un moindre confort les audaces de Jacques Douelle dans lesquelles ils n'étaient pourtant pour rien. 

Ainsi vont les choses en ce bas monde ...

 

Jean Dartigolles.

 

   

Réalisée le 17 juin  2005  André Cochet
Mise ur le Web le      juin  2005

Christian Flages