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La
GARONNE André
REBSOMEN FERET
et fils éditeurs |
Passage concernant: Villandraut |
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Il
est temps maintenant de revenir au Ciron et de gagner sans plus tarder le château
de Villandraut dont nous apercevons bientôt, émergeant au milieu de la sombre
verdure des pins, les grosses tours rondes aux tons fauves.
Nous voici devant ces ruines imposantes. Imaginez-vous un rectangle presque équilatéral, flanqué à chaque angle d'une tour ronde de 30 mètres de hauteur, une porte d'entrée au milieu de la façade méridionale encadrée de deux tours, semblables aux quatre autres, des fossés profonds et larges alimentés par une source abondante et dont les lignes reproduisent les contours du château.
Cet ensemble impressionne et arrête le voyageur. La saillie vigoureuse de ces tours sévères, la simplicité en même temps que l'aspect de force et de majesté de cet édifice le saisissent tout d'abord; puis, un examen plus attentif' lui en fait ressentir le charme et apprécier les beautés.
On
admire la hardiesse de celui qui éleva en ce lieu dépourvu de défense
naturelle une forteresse aussi grandiose et qui sut rendre ces constructions
capables de résister au délabrement des siècles, aux dislocations des guerres
et au vandalisme des hommes.
Comme
pour préserver ce monument de tant de fléaux divers, la nature a voulu le
voiler de verdure. Les arbres poussent dans ses fossés comme pour mieux arrêter
l'assaillant et un manteau superbe de lierre l'enveloppe majestueusement, dérobant
aux regards ses glorieuses cicatrices.
Nous
avons parlé de la tombe de Clément V qu'Uzeste conserve jalousement: ici nous
sommes devant son berceau.
Expliquons-nous: les historiens se divisent au sujet de la naissance de Bertrand de Goth.
Les
uns la placent à Uzeste, les autres à Villandraut. Ceux-ci, plus nombreux,
semblent plus rapprochés de la vérité. En effet, nous savons que le père de
Bertrand, Béraud de Goth, s'il était seigneur d'Uzeste, l'était aussi de
Villandraut et avait une résidence, un manoir, peut-être même un château
dans cette dernière localité. Aucun souvenir ne rappelle semblable avantage
pour Uzeste.
Cette demeure seigneuriale était-elle à l'emplacement du château actuel ? Sur ce point les hypothèses continuent sans pouvoir se vérifier, mais avec vraisemblance.
Plus
tard l'histoire nous apprend que Clément V fit construire en 1307, peut-être
sur le lieu de son habitation natale la grandiose forteresse dont nous voyons
aujourd'hui les restes imposants. Il y séjourna au cours de son pontificat,
datant de ce lieu plusieurs bulles. Le même pontife avait même érigé en collégiale
et transféré dans le château l'église paroissiale de Saint-Martin de
Villandraut.
Régine
de Goth, femme de Jean 1, comte d'Armagnac, petite-nièce de Clément V devint
propriétaire de ce castel qui passa, en 1336, aux mains d'Aymeri de Durfort, seigneur
de Duras.
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Ce
dernier était cousin germain de Régine de Goth qui n'avait pas eu d'enfant de
son mariage.,
Les
Durfort conservèrent Villandraut jusqu'à la fin du XVIe siècle. Pendant ce
temps, Anglais et Français se disputaient et se repassaient cette place forte.
Du Guesclin et le duc d'Anjou l'occupèrent, les Anglais la reprirent, et enfin,
en 1453, le sire d'Albret la rendit définitivement à la France.
Plus tard, les guerres de religion vinrent encore menacer le château de Villandraut et devenir la cause de sa décadence. Les huguenots échappés de Bordeaux en 1572, après le massacre de la Saint6-Barthélemy s'en étaient emparés et s'y étaient retranchés.
Montferrant les en délogea quelques jours après. Ils devaient revenir plus tard, en 1592, et cette fois le château allait soutenir un terrible siège. Mille deux cent soixante coups de canon ébranlèrent et démantelèrent ses murailles: le 25 août il ouvrait ses portes au maréchal de Matignon qui s'en rendait maître au nom du roi.
Le
maréchal avait ordre de le faire raser. Mais Jacques de Durfort intrigua si
bien près d'Henri IV qu'il obtint de lui des lettres patentes prescrivant
d'interrompre la démolition de son château. Le roi mettait comme condition que
ce seigneur le gardât à ses propres dépens afin que les ennemis ne puissent
plus s'en emparer.
Bientôt les Durfort abandonnaient cette demeure devenue presque inhabitable, qui passait aux seigneurs de Lalanne, famille qui fournit au Parlement de Bordeaux d'illustres magistrats. Un de ses membres, Sarrau II de Lalanne, esprit original et aventureux, président à mortier et lieutenant général de l'amirauté, allait faire subir à Villandraut son dernier siège.
Convaincu
d'avoir fabriqué de la fausse monnaie, il se réfugia dans l'antique forteresse
et ses complices et lui n'y furent délogés qu'après un assaut vigoureux des
troupes royales.
En
1679, dame Marie de Lalanne, épouse de messire René de Martineau, marquis de
Thuré « met et baille » l'aveu et le dénombrement de sa seigneurie de
Villandraut. Nous y trouvons la description du château d'alors, qui comprenait
la forteresse flanquée de six grandes tours garnies de girouettes et entourée
d'un fossé à fond de cuve revêtu de pierrée.
Il
se complétait d'un pont-levis, d'une bascule, de basses fosses, de prisons, de
bâtiments et logements garnis de défenses et canonnières et hérissés à
leur sommet de créneaux. Devant cette place forte des terrasses et des bastions
renforçaient les moyens de protection. Enfin, un grand jardin clos de murs, une
garenne et un bois de haute futaie agrémentaient le voisinage.
La
famille de la Faurie succéda à la famille de Lalanne et à la famille de
Salomon, et vendait, en 1789, la seigneurie de Villandraut à Charles Philippe,
comte de Pons, dont nous avons déjà parlé à propos de Grignols, de Cazeneuve
et de la Trave. Actuellement ces ruines grandioses sont aux héritiers du comte
Jean de Sabran-Pontevès.
Tel
qu'il est le château de Villandraut demeure un des types les plus parfaits de
l'architecture militaire du XIVe siècle et de ce qu'on est convenu d'appeler le
château de plaine. Sa visite présente le plus grand intérêt.
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Sa porte d'entrée particulièrement curieuse à étudier, formant une allée longue de onze mètres, est précédée d'un pont à trois arches jeté au-dessus du fossé et dont le tablier devait être primitivement en bois. La première fermeture était une porte dont les gonds sont encore en place.
Elle
forme le seuil d'une sorte de bastille carrée à un étage, voûtée et munie
de chaque côté d'une meurtrière. Un assommoir vient après et est suivi d'une
seconde porte dont on voit les gonds; dans l'intervalle on remarque les deux,
meurtrières à droite et à gauche des deux grosses tours. Enfin, une herse et
une troisième porte achèvent de rendre ce passage presque inexpugnable.
Une
fois rentré dans l'intérieur du château on se trouve dans une vaste cour
carrée, encadrée de constructions élevées sur trois de ses côtés;
en face, à droite et à gauche, et dont le délabrement est du plus pittoresque
effet.
Le bâtiment de droite se composait, au rez-de-chaussée, d'une vaste salle où l'on pouvait entrer par trois portes en arc bombé, décorées de moulures et de colonnettes, et que chauffaient trois grandes cheminées.
Cette
pièce est éclairée par trois meurtrières du côté de la campagne et par
deux grandes fenêtres carrées du côté de la cour. Une salle plus petite est
à sa suite.
En
face de la porte d'entrée il ne reste plus, des constructions d'autrefois, que
les traces de deux cheminées et de grandes fenêtres. Sur cette même façade
s'ouvrait une poterne ogivale à laquelle devait s'adapter une passerelle en
bois.
A
gauche, c'est-à-dire à l'ouest, la grande salle du rez-de-chaussée, sans
cheminées, parait avoir servi de magasin.
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Deux ouvertures pratiquées dans le sol furent sans doute des monte-charges
communiquant avec la vaste cave voûtée qui s'étend en-dessous.
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Le
premier étage semble avoir été la salle d'honneur, à en juger parles deux
portes surmontées d'un cintre bombé qui s'ouvrent sur un perron de pierre du
XVIe siècle et par les deux fenêtres encadrées d'une archivolte saillante et
de colonnettes à chapiteaux sculptés.
Chaque tour comprend quatre étages, sauf la tour sud-est qui a été à moitié démolie.
C'est
d'abord un caveau ou cachot dont le sol est presque de niveau avec le fond du
fossé, et qui est voûté en berceau. Au-dessus, une salle octogone, au rez-de-chaussée,
est voûtée à huit nervures ogivales réunies au centre par une clef de voûte
décorée de feuillages; elle est éclairée par trois meurtrières à large ébrasure,
recouverte d'une voûte en berceau, et ouvrant extérieurement en fente
cruciforme. Une grande cheminée sur un des côtés se rencontre dans la plupart
de ces salles.
Le premier étage des deux tours qui défendent la porte d'entrée est desservi, du côté de la cour, par une galerie du XVIe siècle, supportée par des piliers.
Le visiteur qui y monte franchit une porte et se trouve dans une petite chambre voûtée où se tenaient les soldats chargés de manoeuvrer la herse et de lancer des projectiles par l'assommoir.
Ils
pouvaient aussi, par une meurtrière donnant du côté du pont-levis, lancer
leurs flèches sur les envahisseurs. Les deux salles octogones de droite et de
gauche conservent encore sur leurs murs des lignes de peinture rouge simulant
les assises des pierres.
La
chambre de la tour nord-est, toujours au premier étage, porte à sa clef de voûte
un bas-relief représentant saint-Pierre coiffé de la tiare, assis et bénissant.
Le
second étage des tours est octogone, mais au lieu d'être voûté, était
autrefois recouvert d'un plancher en bois. C'est à la hauteur de ce second étage
que régnait un chemin de ronde reliant toutes les tours et passant au sommet
des courtines. Celles-ci étaient crénelées et les tours étaient munies de
hourds dont on retrouve les boulins.
Du sommet du château la vue s'étend au loin; le ciel bleu semble se confondre avec la plaine immense de la lande et le sommet des pins; vers le nord, le regard découvre les coteaux de Sauternes qui se dessinent dans le lointain.
Vers l'ouest étincelle la nappe d'eau d'un vaste étang que traverse le Baillon, né au fond de la lande près du hameau perdu de Bourideys.
Et
tout près du spectateur, à ses pieds, s'étend le bourg de Villandraut aux
coquettes maisons, aux belles places ombragées de platanes et d'acacias. Une
certaine animation donne de la vie à ses rues; des scieries, des distilleries
de résine, des exploitations de carrières remplacent des industries
aujourd'hui disparues, telles que la fabrication des tabatières en corne de
boeuf ou la verrerie de verre noir que M. de la Molette dirigeait en 1785.
Réalisée le 10 janvier 2002 | André Cochet |
Mise sur le Web janvier 2002 |
Christian Flages |