Faits mémorables

 

de l'histoire de

 

France. 

L. Michelant. 

Souverain :       Napoléon.

Année :  1809

Mort du maréchal Lannes.

Tandis que Napoléon ramenait en Espagne la victoire sous les drapeaux de la France, l'Autriche, appuyée par l'Angleterre, secrètement encouragée par la Prusse et la Russie, déchirait le traité de Presbourg et se préparait à combattre.

Lorsqu'elle se crut assez sûre de ses forces, elle annonça brusquement ses intentions ; et le 9 avril 1809 l'archiduc Charles, commandant de l'armée autrichienne, déclarait la reprise des hostilités par la lettre suivante, adressée au général en chef des troupes françaises en Bavière.

"D'après une déclaration de Sa Majesté l'empereur d'Autriche à l'empereur Napoléon, je préviens monsieur le général en chef de l'armée française que j'ai ordre de me porter en avant avec les troupes sous mes ordres, et de traiter en ennemi toutes celles qui me feront résistance."

Jusqu'au dernier moment l'Autriche avait essayé de cacher ses desseins sous des protestations réitérées d'amitié ; à la veille d'une rupture elle affirmait soin désir sincère de la paix, et tentait par ses détours de surprendre la vigilance de l'empereur.

Mais cet actif génie ne sommeillait jamais ; le regard fixé sur l'Europe il surveillait toutes les démarches de ses ennemis, et, quelque infatigables qu'ils fussent dans leurs attaques, Napoléon se montrait plus infatigable qu'eux encore.

Le 12 avril une dépêche télégraphique, reçue dans la soirée à Paris, apprend à Napoléon le passage de l'Inn par l'armée autrichienne : un instant après il monte en voiture, et le 17 il était déjà au milieu de ses soldats, auxquels il adressait une proclamation où il rappelait, en le flétrissant, le manque de foi de l'Autriche

"Soldats, dit-il, j'étais au milieu de vous lorsque le souverain de l'Autriche vint à mon bivouac en Moravie ; vous l'avez entendu implorer ma clémence et me jurer une amitié éternelle.

Vainqueurs dans trois guerres, l'Autriche a dû tout à notre générosité : trois fois elle a été parjure ! nos succès passés nous sont un sûr garant de la victoire qui nous attend ; marchons donc et qu'à notre aspect l'ennemi reconnaisse son vainqueur."

La marche de Napoléon fut rapide, comme il l'avait prévu, et partout victorieuse ; la coalition, dont l'Autriche était dans cette circonstance l'agent dévoué, put juger que la fortune et le génie demeuraient toujours d'accord pour défendre la haute destinée de la France.

Le 23 avril l'armée française, après avoir triomphé dans trois batailles, à Thann, à Abensberg, à Eckmühl, s'emparait de Ratisbonne et dégageait la Bavière de l'occupation autrichienne.

Le 13 mai l'archiduc Charles opérait sa retraite derrière le Danube, tandis que Napoléon restait maître de l'Autriche et entrait à Vienne ; toutes ses menaces étaient réalisées, et la maison de Lorraine, chassée de la capitale de l'empire, voyait de nouveau son existence compromise.

L'empereur annonça à la France ses succès multipliés par ce bulletin :

"Un mois après que l'ennemi a passé , l'Inn, au même jour, à la même heure, nous sommes entrés dans Vienne.

Ses landwers, ses levées en masse, ses remparts créés par la rage impuissante des princes de Lorraine, n'ont point soutenu vos regards, les princes de cette maison ont abandonné leur capitale, non comme des soldats d'honneur, qui cèdent aux circonstances de la guerre, mais comme des parjures que poursuivent leurs remords."

La campagne était victorieusement commencée, mais elle n'était pas terminée ; l'empereur ne voulait laisser aucune trêve à ses adversaires, il désirait abattre tant d'orgueil par une entière défaite.

Il résolut de traverser le Danube sans délai et de poursuivre l'archiduc Charles.

Le 21 mai des ponts de bateaux joignaient les deux rives du fleuve, et l'armée s'étendait en face d'Essling devant les troupes autrichiennes : la lutte fut acharnée, la bataille dura deux jours, Essling fut successivement pris et repris treize fois par les Autrichiens et les Français ; cependant une attaque dirigée contre le centre des lignes de l'archiduc allait décider la victoire, quand les eaux gonflées du Danube rompirent les ponts qui joignaient au rivage l'île Lobau, centre d'approvisionnement de l'armée, et Napoléon dépourvu de munitions, acculé à une barrière infranchissable, demeura avec quarante mille hommes seulement en face d'un ennemi qui en comptait cent mille.

Cet événement, que les troupes de l'archiduc devinent bientôt, ranime leur ardeur, elles reforment leurs lignes et reviennent à la charge ; mais nos soldats ne reculent pas, ils se servent de la baïonnette, tentent un dernier effort et restent maîtres de la position d'Essling.

Alors l'empereur commande la retraite avec ce calme, ce sang froid qui lui sont habituels ; on rétablit un pont de communication entre la rive gauche du Danube et l'île Lobau, qui occupait le milieu du fleuve, et nos soldats y viennent chercher un refuge.

Dans cette situation difficile, les officiers généraux sont d'avis de repasser à tout prix sur la rive droite ; mais Napoléon s'y oppose, déjà il avait trop reculé :

"Il faut rester dans Lobau, dit-il, ou rétrograder jusqu'au Rhin, nous attendrons l'armée d'Italie."

Pendant que Masséna contient l'ennemi, on fait rentrer dans Lobau l'artillerie, les munitions, les blessés ; et nos brigades évacuent en ordre les villages de Gross Aspern et d'Essling, dont elles s'étaient emparées avec tant de courage.

Napoléon surveillait ce mouvement de retraite, lorsqu'il vit s'avancer un triste cortège portant un blessé : c'était le maréchal Lannes frappé d'un boulet qui lui avait enlevé les jambes au moment le plus vif de l'action, lorsqu'il parcourait le front de sa ligne.

Douze grenadiers tachés de sang, couverts de poussière, noircis par la poudre, avaient placé l'illustre blessé sur un brancard formé, de leurs fusils et de quelques branches de chêne, et le transportaient à Ebersdorf.

Dès que l'empereur eut reconnu le duc de Montebello, il se précipita vers lui, le serra dans ses bras en versant des larmes, et s'écria

"Lannes, me connais tu ? C'est ton ami, c'est Bonaparte ! Lannes, tu nous seras conservé. .,

A cette voix, qu'il connaissait si bien, qui lui était si chère, le maréchal sortit de l'évanouissement où l'avait plongé la perte de son sang ; il regarda l'empereur et put lui dire un dernier adieu, lui parler encore une fois de cet attachement qui ne s'était jamais démenti depuis vingt ans qu'il accompagnait Napoléon sur les champs de bataille.

"Je désire vivre, si ,je puis vous servir ainsi que notre France, répondit-il avec difficulté, mais je crois qu'avant une heure vous aurez perdu celui qui fut votre meilleur ami. "

Puis, malgré son épuisement, il soulève ses bras et presse Napoléon sur son coeur dans une étreinte affectueuse.

Celui ci, agenouillé près du brancard, ne pouvait se résoudre à se séparer de son fidèle compagnon ; enfin l'affaiblissement du maréchal augmentant d'instant en instant, l'empereur dut s'arracher à cette entrevue et permettre aux grenadiers d e s'éloigner avec leur précieux fardeau.

Lannes, transporté à Vienne, y succomba le 30 mai. dans un délire où se confondaient tous les glorieux souvenirs de sa vie militaire.

Depuis les premières campagnes d'Italie il était attaché à la fortune de Bonaparte et avait assisté à toutes les grandes guerres de l'empire ; nomme maréchal d'empire dès la première promotion, en 1804, toujours son courage, son expérience avaient secondé les vues hardies de l'empereur avec un dévouement dont ses dernières paroles étaient la juste expression.

Bonaparte ressentit vivement cette perte, la plus cruelle de celles qu'il eût éprouvées à la journée d'Essling.

L'armée apprit avec consternation la mort du duc de Montebello : elle n'ignorait pas l'estime qu'avait Napoléon pour l'illustre maréchal ; il le nommait le Brave des braves, comme Ney.

"Son esprit, disait-il, avait grandi au niveau de son courage : il était devenu un géant."

Aussi les soldats, la France tout entière partagèrent les regrets de l'empereur et s'unirent à cette grande douleur.

Cependant Napoléon surmonta son émotion, afin de pourvoir aux besoins de l'armée ; à onze heures du soir, après une journée dans laquelle il n'avait pas un moment cessé de diriger tous les mouvements et de combattre les plus fâcheux hasards, il ordonna à Masséna, qui protégeait la retraite, de se retirer dans l'île Lobau, et lui-même monta dans un bateau pour regagner la rive droite du Danube.

L'obscurité était profonde, les eaux agitées par un vent impétueux, embarrassées par les arbres et les débris qu'entraînait le courant ; mais Napoléon était tranquille, autant que le matin même, quand il s'exposait au feu avec tant de témérité, que le commandant des grenadiers de la garde lui disait :

"Retirez vous Sire, ou je vous fais enlever par mes grenadiers."

Il sentait que la fortune ne l'abandonnait pas encore. Cette dangereuse traversée s'acheva sans accident ; et bientôt l'empereur accélérait les préparatifs, hâtait les convois, faisait porter des vivres et des secours aux troupes campées dans l'île Lobau, et s'apprêtait à reprendre l' initiative qu'un funeste incident lui avait ravi à Essling.

Table chronologique des faits mémorables.....

 

Réalisée le 20 novembre2005

 André Cochet

Mise sur le Web lenovembre2005

Christian Flages