Chemins et ponts 

de

Balizac.

 

 

 

Du XVIIème au XVIIIème siècle.

à Balizac, le 5 juin 2009                            par                             Jean DARTIGOLLES.

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Jean DARTIGOLLES, historien local et merveilleux conteur, sait présenter les divers aspects de la vie des habitants de cette Vallée du Ciron, avec sa verve habituelle, imagée et  souriante.

Sommaire: Les routes et les chemins.
Une bien mystérieuse affaire : le Pont de Balizac. Circulation en convois.
Incroyable ! un pont sur la Nère. Les grands axes desservant Balizac.
Une affaire d'Etat. Des chemins vagabonds en zone humide.
Pourquoi tant de mensonges. L'obstacle du Calot.
Un ouvrage important. L'entretien des chemins locaux.
Appels d'offres. Des querelles incessantes entre villages voisins.
Les choses tournent mal. Comment s'organisaient ces travaux de voirie ?
Quand Henri IV était seigneur de Balizac. La corvée royale.
Expertises et polémiques. Les risques de la circulation.
 

A pied rarement, en vélo quelquefois, en voiture le plus souvent, nous parcourons les routes de nos villages sans tellement nous poser de questions sur leur lointain passé.

Et pourtant, chacune de ces routes, chacun de nos chemins ont une histoire, celle de ceux qui les ont tracés, qui les ont entretenus et qui nous les ont légués.

C'est un peu de cette histoire que nous allons aborder ce soir sur le territoire de Balizac au cours des XVIIème et  XVIIIème.

Et pour commencer, nous allons nous intéresser à une bien mystérieuse affaire. Une affaire, à vrai dire, proprement incroyable et pourtant bien réelle.

Celle du pont de Balizac.

     Une bien mystérieuse affaire : 1
le Pont de Balizac.

Je me suis longuement interrogé sur cette histoire ; j'ai même consulté des experts tant j'avais de mal à comprendre ce qui avait pu motiver la décision de construire ce pont. 

Et la conclusion de tous, y compris la mienne, c'est qu'il n'y a rien à comprendre et que cette affaire est, reste, et restera probablement bien longtemps mystérieuse.

Nous sommes à la fin du règne de Henri IV.

Il faut préciser qu'en ce temps-là, l'administration royale intervenait très peu dans la construction et l'entretien des ponts et des chaussées. 

C'était, comme nous le verrons tout à l'heure, le domaine de compétence des collectivités locales, essentiellement des paroisses qui, lors de la Révolution, deviendront des communes.

Cette administration se limitait à quelques ingénieurs que l'on pouvait compter sur les doigts d'une main et qui se tenaient auprès de l'Intendant, (nous dirions aujourd'hui, le Préfet) à Bordeaux. 

Ils avaient pour collaborateurs quelques agents voyers, sorte de chefs de chantier, et ne disposaient d'aucun autre personnel, et encore moins de moyens techniques.

La main d'œuvre était assurée par les paysans locaux qui devaient fournir un certain nombre de journées de travail gratuites au titre de la Corvée Royale.

Chacun venait avec ses propres outils ou son attelage et se mettait au travail sous les ordres et selon les directives de l'Agent Voyer organisant le chantier.

Le domaine d'activité de l'Administration Royale était des plus réduit.

Il ne concernait que l'entretien des chemins royaux et, dans notre région des Landes Girondines, il n'y en avait que deux, savoir celui de Bordeaux à Langon (et au-delà vers Toulouse) et celui de Langon à Bazas (et au-delà vers le sud), donc, tous deux, bien loin de Balizac.

Quand aux ponts, c'était encore plus simple.

Les Ingénieurs du Roi n'en contrôlaient aucun dans un rayon d'au moins 30 km.

Celui de Barsac sur le Ciron appartenait au couvent des Chartreux, celui de Villandraut se partageait par moitié entre les Seigneurs de Villandraut et de Noaillan, et ceux de Cazeneuve sur le Ciron et de Castelnau sur la Hure appartenaient aux seigneurs locaux qui y percevaient un péage.

L'inventaire ne va pas plus loin.

Partout ailleurs, on passait les cours d'eau à gué dans la plupart des cas ou sur quelques passerelles pour cavaliers et piétons, telles celles de La Salle à Pujols ou du pont d'Aulan à Budos, toutes deux appartenant aux Seigneurs locaux.

Aucun pont royal à l'horizon chez nous, de quelque côté que l'on se tourne …

Or, voici que tout à coup, en 1608, on apprend que l'Administration royale se propose de financer la construction d'un beau pont en pierre sur la Nève, en bas de Pinot, en remplacement d'un très modeste ponceau en bois que les Balizacais y avaient lancé. 

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  Incroyable ! un pont sur la Nère.  2

 

Sur la Nère ! Alors que dans la province on aurait aisément trouvé à construire 10, 15 ou 20 ponts bien plus utiles à la circulation. Ne serait-ce, sans aller bien loin, que de rétablir celui de Villandraut que les protestants avaient fait sauter 35 ans auparavant, pendant les guerres de religion.

Faute d'entente entre les deux Seigneurs co-propriétaires, ils n'était toujours pas reconstruit. Plus de 20 paroisses du Langonnais, du Bazadais et de la Lande multipliaient les démarches à tous les niveaux pour en demander le rétablissement. En pure perte …

C'est à Balizac, et sur la Nère que l'Administration Royale envisage de construire ce pont. Et pour cela, elle va lancer une enquête publique auprès des notables et des autorités publiques locales. C'est à ce titre que les chanoines du Chapitre de la Collégiale de Villandraut sont consultés et répondent :

"nous soussignés, doyens et chanoines de Villandraut, certifions à tous ceux qu'il appartiendra, que toutes les années au premier jour de juin, se fait une grande assemblée et convocation de peuple à une dévotion qui se fait en l'honneur de St Juin en la paroisse de St Léger, Diocèse du Bordelais, où s'y rendent de toute part(de nombreuses) personnes venant du pays de l'Entre Deux Mers, du Comté de Benauge, du Pays de Médoc et autres circumvoisins.

S'y rencontre bien souvent plus de trois mille personnes, la plupart desquelles (doivent passer) le ruisseau de l'Aurigne sur son pont de bois qui est en la paroisse de Balizac, et quelquefois ledit ruisseau est si débordé qu'il entraîne ledit pont de bois."

Et ce document est signé de six chanoines, l'un d'entre eux, dénommé Duvergey, étant, de surcroît, curé de Balizac. 

Tout ce qui concerne le pèlerinage de St Léger au premier jour de juin est parfaitement exact. La provenance des pèlerins ainsi que leur nombre est attesté par d'autres sources concordantes. Mais le malheur, c'est qu'aucun d'entre eux n'a la moindre raison d'emprunter le pont que l'on projette de construire.

Ceux venant du Libournais traversent la Garonne par le bac du Tourne, près de Langoiran.

Ceux venant de l'entre de l'Entre deux Mers et de Benauge la traversent à Rions ou à Cadillac et cheminent, les premiers par Guillos, les seconds par Landiras. Et ces derniers évitent même le bourg de Balizac puisque leur chemin, à l'époque est tracé directement du Pouy vers le Hat et Triscos et traversent la Nère au gué de la Houn Roubillouse.

Quand à ceux du Langonnais et du Réolais dont il n'est pas ici question mais qui, eux aussi, cheminent vers St Léger, ils passaient par Villandraut et devaient traverser le Ballion et non la Nère.

Aucun de ces 3.000 pèlerins n'a besoin de traverser la Nère au bas de Pinot.

C'est un premier problème.

Mais il y en a d'autres …. et de taille ….

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     Une affaire d'Etat.  3

Que la décision de construire le phare de Cordouan, ouvrage à peu près contemporain de notre pont, se prenne à Paris, on le comprendra aisément. Mais que la décision de construire le pont de Balizac soit prise par Sully en personne, Sully, le grand ministre d'Henri IV, c'est beaucoup moins évident.

Certes, nous l'avons vu, les engagements de l'Administration Royale dans les ouvrages d'art locaux étaient rares. Mais de là à penser que la décision de construire un pont à Balizac ait dû être prise par le Premier Ministre en personne, il y a un pas, un grand pas difficile à franchir.

Qu'y avait-t-il derrière une démarche aussi insolite ?

Nous n'en savons rien.

Le 10 décembre 1609, on voit arriver à Balizac Monseigneur Jacques de Pontac, Conseiller du Roi, Trésorier de France, Intendant des Finances en Guyenne et Lieutenant de Monseigneur le Duc de Sully.

Il se rend sur les lieux, en personne, zu pied du château de Balizac, en bas de Pinot. Il examine le site et remonte au château où l'attend le notaire de Villandraut devant lequel il va faire dresser un procès verbal de sa visite sur lequel on peut lire que :

"Monseigneur le Duc de Sully … a ordonné qu'il sera fait un pont en la paroisse de Balizac en Bazadais … où ledit pont doit être fait sur un petit ruisseau qui est sur ladite paroisse …(ce pont sera situé) sur le Grand Chemin Royal  qui va de Budos, Barsac … vers Villandraut, Saint Symphorien, Captieux, Roquefort, et Mont de Marsan, Tartas et autres lieux. "

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     Pourquoi tant de mensonges.  4

Ici, les choses vont très loin car il y a là un pur mensonge. Il n'y a jamais eu de Grand Chemin Royal entre Barsac, Budos et Villandraut et au surplus, quand on est à Budos, on se dirige vers Villandraut ou Saint Symphorien, mais ce n'est pas le même chemin.

Par contre, il est bien vrai que Captieux, Roquefort, Mont de Marsan, etc. sont sur le Chemin Royal se dirigeant vers l'Espagne, mais que peut-il avoir de commun avec le pont sur la Nère au pied de Pinot ?

On l'emprunte à Langon et il passe par Bazas. Au mètre près, c'est l'actuelle Nationale 524 de Bordeaux à Pau.

Comment le notaire, officier ministériel dont les écrits font foi a-t-il pu accepter d'enregistrer dans son acte une pareille énormité ? 

N'oublions pas qu'il était de Villandraut et qu'il parcourait chaque jour ce pays, allant de village en village, comme c'était alors l'usage.

Comment Monsieur de Pontac, Intendant des finances à Bordeaux a-t-il pu évoquer l'existence de ce Grand Chemin purement imaginaire ?

Même le curé de Balizac était complice. Souvenez-vous qu'au cours de l'enquête préliminaire, il a signé le texte faisant état du passage de milliers de pèlerins qui ne sont jamais passés par là …

Il est clair que localement, on a cherché à manipuler les plus hautes instances de l'Etat jusqu'à décider Sully à construire un Pont  Royal en un lieu aussi peu fréquenté. Il l'était même si peu que même pour aller à Villandraut, les Balizacais passaient alors par Pinot, Le Buc et Pirec.

La route directe actuelle était très difficile d'accès aux charrettes, sinon même impraticable du fait de la difficulté de franchir le Calot qui, pour lors coulait à Mathon dans un ravin très abrupt.

Ce n'est qu'en 1894, après d'importants travaux d'aménagement, que notre route actuelle a été ouverte aux charrettes. Jusque là n'y passaient que les piétons, les cavaliers et les animaux de bat.

Alors qui donc allait pouvoir emprunter ce fameux Pont Royal ?

Les habitants du bourg et de Pinot pour accéder au moulin de la Ferrière. Pas même ceux de Triscos et de Mouliey  qui s'y rendait en empruntant l'ancestral "Camin Dou Bin" qui contourne la Nère sans la traverser ….

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     Un ouvrage important.  5

C'est un peu mince eu égard à l'importance de l'ouvrage projeté. Car il s'agissait d'un ouvrage réellement important. Vous allez pouvoir en juger par vous-mêmes car sa description détaillée nous a été conservée.

"Ce pont sera à 1200 pas (soit environ 1.000 mètres) du bourg de Balizac, à l'endroit le plus resserré, entre une vigne et une pièce de pins que le sieur de Vicose a fait planter. Ce pont aura deux arceaux, l'un de 12 pieds de diamètre (4 m 20) et de 18 pieds de longueur (6 m 30 ) et l'autre de 6 pieds de diamètre (2 m 10)  et de pareille longueur.

Les piliers seront construits de pierre de taille et de bon mortier de chaux et de sable. (Ce pont sera situé) entre deux collines, (il sera donc) nécessaire de faire une chaussée de 150 pieds de long (52 m 50) par le moyen de deux murailles qui seront faites de 3 pieds d'épaisseur (1 m 05) jusqu'à la hauteur du dessus desdits  arceaux, et par dessus ces murailles, en laquelle hauteur il sera compris, deux parapets de la longueur de 150 pieds (52 m 50) et 2 pieds et demi d'épaisseur (87 cm 50).

Entre ces murailles sera construite une chaussée sur laquelle sera établi un chemin où pourront passer toutes sortes de charriots."

Avec près de 13 mètres de long et desservi par une chaussée de plus de 50 mètres, ce ne sera pas rien. Et vous avez certainement noté au passage que l'on ne lésinera pas sur la solidité de l'ouvrage. Les parapets eux-mêmes feront près de 90 cm d'épaisseur  ! Ils sauront certainement résister aux épreuves de la circulation.

C'est donc bien un pont royal et royalement construit !

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     Appels d'offres.  6

Dès lors, le projet est lancé et prend la forme d'un appel d'offres annoncé à son de trompe et grand renfort de publicité. Il est cependant limité à Bordeaux. Le texte qui nous est parvenu est formel :

"(Cet appel est lancé) par tous les lieux et endroits de la Ville de Bordeaux …"

C'est probablement une erreur car les entrepreneurs ne se bousculent pas pour y répondre. Compte tenu des moyens de transport de l'époque, ce chantier est situé beaucoup trop loin. Il fallait deux jours de charrette pour aller de Bordeaux à Balizac et faute de connaître les ressources locales on devait envisager d'y transporter l'essentiel des fournitures  et matériaux, pierre, moellons, chaux, etc. …

On aurait mieux fait, semble-t-il de lancer un appel d'offres local. A Noaillan et Villandraut se trouvaient pour lors des maîtres maçons parfaitement compétents qui auraient été bien mieux à même de répondre à cet appel.

Quoi qu'il en soit, le siège de l'Administration oyale étant à Bordeaux, c'est là et nulle part ailleurs que cet appel fut lancé. De ce fait il est bien probable que les artisans locaux n'en eurent jamais connaissance.

Toujours est-il que les candidats ne se bousculèrent pas. Un seul se présenta, un dénommé Favreau, maître maçon qui accepta le marché pour un montant de 3.000 livres. On ne pouvait attribuer ce marché sans qu'il soit soumis à concurrence.

On procéda donc à un second appel d'offre, mais toujours circonscrit à Bordeaux. Cette fois-ci, un second candidat se manifesta en la personne d'un autre maître maçon dénommé Dominique La Portefoy.

On put donc organiser une adjudication à la chandelle de cire. Après quelques rabais de l'un et de l'autre, à l'extinction de la chandelle, ce fut Favreau qui l'emporta. Le très mauvais état du document qui nous est parvenu ne permet malheureusement pas de lire quel fut le montant définitif retenu pour ces travaux.

Le 20 janvier 1610, Favreau, qui s'était entre temps associé à 2 autres maçons bordelais, ratifia définitivement son engagement. Les travaux pouvaient commencer.

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     Les choses tournent mal.  7

Mais, très vite, les choses vont mal tourner. Une crue printanière du ruisseau va emporter ce qui avait déjà été construit. Un vrai désastre …. Et c'est ici que l'on voit intervenir Monsieur de Vicose, Seigneur Baron de Castelnau et de Cazeneuve.

Informé de ces déboires, il se rend sur place et va manifester son mécontentement en mettant en cause le travail de Favreau. Il convoque le notaire de Villandraut au château de Balizac pour lui faire prendre acte de ses doléances.

Selon lui, Favreau n'a pas conduit ce chantier comme il s'y était engagé. En particulier, il met en cause les piliers du pont qui, selon lui, sont notoirement insuffisants, ainsi que la sole servant de base à l'ouvrage dans le lit du ruisseau. C'est pour cela que la crue de la Nère aurait causé autant de dégâts.

Monsieur de Vicose adresse aussitôt cet acte à monsieur de Pontac, le grand Voyer de France que nous connaissons déjà. Celui-ci réagit sans tarder. Trois jours plus tard, il prescrit une expertise de l'ouvrage.

Ici, il est bon de s'interroger. A quel titre Monsieur de Vicose prend-il cette initiative ?

Certes, il était Seigneur du lieu, mais il n'était pas chargé d'inspecter un chantier royal. Il y avait pour cela des Agents Voyers dont c'était la fonction. Mais il se trouve que, tout à fait incidemment, nous apprenons dans ce texte que Monsieur de Vicose est propriétaire des deux rives du ruisseau au pied de son château, car il est également Seigneur de Balizac.

Sur une rive s'étend une pièce de vigne qu'il vient de faire planter, et sur l'autre un pièce de pins dont Monsieur de Pontac, souvenez-vous en, lors de sa visite avait déjà noté la présence.

Alors est-ce que par hasard, ceci n'étant qu'une simple hypothèse, Monsieur de Vicose n'aurait pas été l'instigateur de ce projet qui sert si bien ses intérêts ? Est-ce que par intrigue de cour ou relations privilégiées il n'aurait pas réussi à se faire construire, aux frais des Finances Royales, un pont qui, à l'évidence, faciliterait grandement l'exploitation de ses domaines ?

C'est une hypothèse fragile car nous ne disposons pas d'autre preuve. Mais …. Mais ….

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     Quand Henri IV était seigneur de Balizac.  8

La Seigneurie de Castelnau avait longtemps appartenu aux Ducs d'Albret, Henri IV l'avait ainsi trouvée dans la succession de sa mère Jeanne d'Albret.

Castelnau, et donc Balizac, qui en dépendait avaient donc été pendant un temps propriété personnelle d'Henri IV. 

Pendant un temps seulement car, en 1595 il en fit don précisément à Raymond de Vicose, probablement pour service rendu au cours de la période difficile qu'il venait de vivre avant son accession au trône alors que sa légitimité était encore contestée par le parti catholique.

Je n'ai pas réussi à déterminer quels avaient pu être ces services mais il ne faut jamais désespérer ….

Toujours est-il que l'on ne se dépouille pas d'une propriété de l'importance de Castelnau  sans qu'il y ait quelque part un motif sérieux de récompenser le donataire.

Tout ceci ne prouve rien sinon que Monsieur de Vicose était dans les meilleurs termes avec le Roi et que cela pourrait, je dis bien pourrait, éventuellement expliquer bien des choses. N'en disons pas plus, mais la construction d'un pont Royal au bas de Pinot reste bien mystérieuse alors qu'il y avait tant d'autres urgences infiniment plus pressantes dans toute la province.

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     Expertises et polémiques.   9

Quoi qu'il en soit, monsieur de Vicose se montre très actif. Nous avons vu que Monsieur de Pontac, alerté, avait eu une réaction très rapide, 3 jours seulement, pour déclencher une expertise. Mais Monsieur de Vicose avaient été encore plus rapide car dès le lendemain, il faisait procéder de lui-même à une expertise en faisant appel à un maître maçon de Noaillan dénommé Peymartin.

Ceci apporte bien la preuve qu'il y avait dans le pays des gens qualifiés qui auraient pu s'intéresser à l'entreprise si l'appel d'offres avait dépassé les limites de la Ville de Bordeaux. 

Mais ceci nous amène également à nous demander à quel titre Monsieur de Vicose a pu prendre l'initiative de déclencher cette expertise. Il avait alerté Monsieur de Pontac, grand patron de l'opération, il lui suffisait désormais d'attendre sa réaction qui, encore une fois, répétons-le, ne s'est pas fait attendre.

Peymartin conclut que la sole assurant la base de l'ouvrage était nettement insuffisante, ce à quoi Favreau ne manqua pas de répondre qu'on devait lui fournir 500 pierres taillées qui auraient été nécessaires et qu'on ne lui en avait livré que la moitié.

Là-dessus, arrivent les deux experts désignés par Monsieur de Pontac, Maîtres Pierre Ardouin et Claude Martet, tous deux maîtres maçons jurés de la Ville de Bordeaux qui, disons, pour faire court parviennent aux mêmes conclusions que l'expert local et reçoivent les mêmes réponses. 

Finalement, après maintes péripéties, l'ouvrage sera repris et mené à terme sous la direction d'un architecte bordelais dénommé Beuscher.

Balizac bénéficiera donc bien de son pont sur la Nère, et ce, gratuitement, aux frais du Roi. Mais cela n'empêcha pas pour autant les charrette balizacaises de rejoindre Villandraut par Pinot, Le Buc et Pirec pendant encore près de 300 ans, jusqu'en 1894 …

J'aimerais bien, et ce serait mon plaisir, que vous tous qui passez si souvent sur ce pont, vous évoquiez désormais en y passant, quelques souvenirs de toute l'histoire dont il est chargé.

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     Les routes et les chemins.   10

Venons-en  maintenant aux routes et chemins.

Routes, c'est beaucoup dire car il n'y en a jamais eu à Balizac sous l'ancien régime. Les premières n'apparaîtront qu'à partir du milieu du XIXème siècle. Jusque là, on n'a jamais connu que des chemins de sable tout à fait comparables aux chemins que nous connaissons actuellement en forêt.

Chemins à voie unique bien adaptés au passage des piétons, des cavaliers et des animaux de bât, mais fort incommodes pour les charrois qui, à  peu près étaient assurés par des charrettes à bœufs. Seuls les meuniers, à l'époque, disposaient de chevaux de trait et je n'ai jamais pu jusqu'ici en trouver la raison.

Vous avez tous connu l'expérience du croisement de deux voitures dans un chemin de sable. Par quelques manœuvres appropriées d'esquive ou de marche arrière, on finit toujours par se croiser. 

Mais avec des charrettes c'est une tout autre affaire. En particulier il n'est pas évident de faire reculer une paire de bœufs lorsqu'elle est attelée à une lourde charge.

Un croisement devient alors une opération longue et délicate. Il arrivait même quelle devienne inextricable lorsque deux convois se rencontraient face à face. Or, les transports en convois de 3 ou 4 charrettes étaient fréquents.

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     Circulation en convois.  11

L'hiver, à longue distance, disons par exemple de Balizac au port de Podensac, ils constituaient même la règle. La raison était simple, la circulation en convoi permettait aux bouviers de se prêter mutuelle assistance dans les passages difficiles tels que les gués et les fondrières que l'on rencontrait si souvent dans la Lande humide.

On dételait alors une ou deux paires de bœufs que l'on adjoignait en renfort au premier attelage et l'on faisait ainsi passer les charrettes une à une pour reconstituer le convoi de l'autre côté de l'obstacle.

Pour peu que ces charrettes soient lourdement chargées, une telle opération pouvait bien , en mauvaise saison, se renouveler 3 ou 4 fois entre Balizac et le port de Podensac.

Vous imaginez sans peine les difficultés que l'on pouvait rencontrer lorsque 2 de ces convois venaient à se retrouver face à face, surtout si les terrains bordant le chemin étaient marécageux ou instables, c'était souvent le cas dans la lande.

Ceci nous explique pourquoi ces transports étaient lents, d'une lenteur qui nous paraît aujourd'hui invraisemblable. La lenteur naturelle de progression d'un attelage de bœufs, disons 3 km à l'heure, n'est pas seule en cause.

Il fallait également prendre en compte les conséquences des péripéties du voyage sans parler, bien  sûr, des temps nécessaires au repos des animaux qui ne pouvaient assurer une traction ininterrompue.

En hiver, il fallait compter une grosse journée pour aller de Balizac au port de Podensac et autant le lendemain pour en revenir.

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     Les grands axes desservant Balizac.   12

L'origine du tracé de ces chemins se perd dans la nuit des temps. Depuis le Moyen Age et certainement même avant, Balizac a cherché à rejoindre 3 destinations privilégiées :

o       La Garonne au port de Podensac et accessoirement au port de Barsac.

o       Villandraut et son marché.

o       Saint Léger où se trouvait le château de Castelnau, siège de la Justice et de l'Administration Seigneuriale.

Ces besoins de communication ont défini les grands axes de desserte. Tous les autres chemins du village n'ont jamais été que des chemins de service pour relier les quartiers éloignés de l'église, pour aller au moulin, etc. ….

Ce réseau de service semble avoir été un peu plus dense que celui que nous connaissons encore aujourd'hui. Ne nous méprenons pas pour autant. La distinction entre les 3 grands axes ne porte que sur le niveau de leur fréquentation et non point sur la qualité de leur viabilité.

Si le terrain traversé était sain celle-ci était bonne, disons comparable à celle de nos bons chemins forestiers, mais si le terrain était instable, marécageux par exemple, grand axe ou pas, la viabilité en devenait détestable.

Le tracé de ces chemins a peu évolué, au fil du temps, là où les sols offraient une bonne qualité de résistance. 

C'est par exemple le cas de la commune d'Illats sur laquelle les routes actuelles épousent le tracé des chemins ancestraux. Par contre ces tracés ont quelquefois beaucoup variés à la traversée de terrains moins fiables.

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     Des chemins vagabonds en zone humide.   13

C'est le cas par exemple à la traversée du Pouy pour les relations entre Balizac d'une part et Landiras et Budos d'autre part. Les tracés actuels datent du Second Empire dans les années 1850 / 1860. Jusque là, les chemins menant à Podensac et à Budos étaient tout à fait distincts.

Celui de Saint Symphorien à Podensac, nous l'avons déjà vu reliait directement Triscos au Hat en évitant le bourg et allait rejoindre le tracé actuel de la départementale 11 quelques centaines de mètres avant la limite de Budos. Et cet itinéraire, en mauvaise saison devait être si peu sûr que certains textes font état de charrois par Bernadet et Batsères.

Quand au chemin de Budos, il n'avait rien à voir avec l'itinéraire actuel. Partant du Bourg de Balizac, il laissait Chantalause sur sa droite, filait directement sur le Pouy Blanc au point limite entre les 3 communes de Balizac, Budos et Léogeats, et de là gagnait le quartier de Médouc et le bourg de Budos.

Il en subsiste presque deux kilomètres que la commune de Budos avait fait empierrer au XIXème siècle.

La consistance des sols était donc déterminante dans le choix des tracés des chemins. Mais un simple obstacle ponctuel en un point singulier suffisait à condamner un itinéraire alors même que la nature des sols lui aurait été favorable.

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L'obstacle du Calot.   14

Le chemin de Balizac à Villandraut fournit un excellent exemple de cette situation.

Le tracé de Pinot à Villandraut par Mahon s'établit sur de bons terrains. Vous n'y avez jamais connu de marais, même aux abords de La Ferrière. Et en ces temps anciens, la situation n'était pas différente.

Mais, ainsi que je vous l'ai déjà signalé, il y avait la traversée du Calot, au pied de Mahon qui formait obstacle. Le site actuel, tel que vous pouvez le voir, ne rend absolument plus compte de la situation antérieure.

Le Calot coulait là dans un véritable ravin et le chemin y plongeait et se redressait de façon si abrupte qu'une charrette chargée avait toute les chances d'y verser; Le ruisseau, bien modeste, n'était pas plus conséquent à l'époque que maintenant mais l'obstacle était totalement dissuasif.

Il a fallu entreprendre de gros travaux de terrassement, en 1894, pour entamer les parois du ravin et adoucir les pentes au prix de deux virages. Jusqu'à cette date, tous les charrois de Balizac vers Villandraut se sont effectués, ainsi que nous l'avons déjà vu, via Pinot, Le Bure et Pirec.

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     L'entretien des chemins locaux.  15

L'entretien de ces chemins était confié aux bons soins des habitants de chaque paroisse. Chacun s'occupe des siens et personne d'autre n'y intervient de quelque manière que ce soit.

Ce système perdurera d'ailleurs longtemps et la Révolution n'y apportera aucune modification. 

Les communes ont tout simplement succédé aux paroisses dans leurs obligations, et il a fallu attendre que le XIXème siècle soit passablement avancé pour que le Département commence à s'intéresser aux itinéraires d'intérêt général les plus fréquentés.

Lorsque le terrain était sec, sain et solide, cela ne soulevait guère de difficultés. Nous savons tous qu'un bon chemin de sable se suffit à lui-même et ne demande guère d'entretien. Il suffit de ne pas le détériorer par des usages abusifs tels que nos actuels débardages qui peuvent le rendre rapidement impraticable.

Si l'on s'en tient à un usage conventionnel, un tel chemin n'exige guère d'intervention humaine sinon pour élaguer, éventuellement une végétation riveraine parfois un peu envahissante. Mais on ne peut pas qualifier cela de travaux d'entretien.

Il en allait de même à l'époque lorsqu'un bouvier coupait au passage une branche qui commençait à gêner la circulation. Les choses n'allaient guère plus loin et l'initiative privée y pourvoyait.

Certes, on a connu quelques cas d'exception où des interventions collectives se sont avérées nécessaires sur des terrains normalement sans problème.

Ce fut le cas par exemple à l'occasion de l'ouragan de Notre Dame en 1768.

Pourquoi de Notre Dame ?

Parce qu'il survint le 8 septembre, jour de la célébration de la nativité de la Vierge Marie.

Cet ouragan, tout à fait comparable, sinon pire à ceux que nous venons de connaître au cours de ces dernières années, massacra une bonne partie des espaces boisés en abattant des milliers d'arbres et coupant toute circulation.

Une intervention collective fut donc nécessaire pour dégager les chemins et elle fut longue et difficile car les tronçonneuses et autres engins de levage restaient à inventer. Mais c'était là l'exception. A la vérité les problèmes d'entretien ne se posaient guère sur les chemins tracés sur des terrains solides.

Mais il en allait tout autrement lorsqu'ils étaient tracés au travers de landes humides, et sur ce point, Balizac n'était guère épargné.

Une bonne partie de son axe de circulation majeur, le chemin de Saint Symphorien à Podensac, traversait la zone du Pouy sur son territoire et là, il ne pouvait être question de s'en remettre aux bons soins de la nature pour en assurer la viabilité.

Vous connaissez bien tous la consistance des sols à la traversée du Pouy. Même encore de nos jours, vous trouverez sans peine des zones dans lesquelles il n'est pas bon de s'aventurer en tous temps.

Les terrains détrempés ne sont pas rares mais ce que nous connaissons aujourd'hui n'est rien au regard de la situation des siècles passés. Les pins que nous connaissons en ces lieux, jusqu'aux limites de Budos pompent actuellement et rejettent à l'atmosphère une part notable de l'eau qui abreuve ces sols.

Mais ces plantations n'ont été effectuées qu'au milieu du XIXème siècle. Auparavant, il n'y avait là qu'une vaste lande nue et spongieuse couverte de molinie que nous appelons l'aoubitye et dépourvue de tout arbre sous réserve de quelques maigres bouquets rares et dispersés.

Assurer la viabilité d'un chemin largement fréquenté par de lourds charrois en un tel terrain n'était pas une mince affaire. Et c'est aux habitants de Balizac, sans aucun concours extérieur qu'il appartenait de le faire. C'était, à coup sûr, une très lourde charge.

Que pouvaient-ils faire ?

Tenter de drainer les emplacements les plus humides en creusant quelques fossés judicieusement disposés. Et aussi, à grand renfort de pelles et de pioches, aller prélever du sable sain en quelque autre point du village et le transporter sur les zones les plus instables afin d'engraisser les fondrières les plus dangereuses. Ils ne pouvaient envisager d'autres interventions mais devaient les réitérer souvent.

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     Des querelles incessantes entre villages voisins.  16

Ce système de répartition des responsabilités d'entretien entre paroisses était assez pervers et ouvrait la porte à de nombreux conflits entre village voisins. 

Ainsi par exemple, Budos faisait valoir que la partie de chemin comprise entre sa limite avec Balizac et le gué du Ka sur le Tursan ne lui était d'aucune utilité et qu'il devait en assurer l'entretien uniquement pour le compte des autres villages. Et c'était vrai  !

Aucun Budossais n'avait à passer par là, ni pour rejoindre la Garonne, ni pour se diriger vers la lande. En ce dernier cas, ne l'oubliez pas, son chemin s'établissait directement par Médouc et le bourg de Balizac.

L'itinéraire actuel passant par Cournaou n'a été tracé qu'au XIXème siècle sous le Second  Empire. Il était donc bien vrai que la portion de chemin reliant Saint Symphorien à Podensac, à la traversée de son territoire, ne lui servait strictement à rien.

Les  Budossais ne manquaient donc pas de dire que les habitants de Saint Symphorien et de Balizac étaient les seuls bénéficiaires de ce parcours et que, par conséquent, il leur appartenait d'en prendre l'entretien à leur charge ou, à tout le moins, d'y concourir.

Mais la règle était formelle, chaque paroisse devait bel et bien prendre en charge tous les chemins établis sur son territoire quelle que soit sa vocation et il n'y fut jamais dérogé.

Une contestation semblable s'élevait des paroisses situées plus en aval sur l'itinéraire. Celles-ci ne contestaient pas qu'elles utilisaient ce chemin pour rejoindre le port de Podensac, mais elles tenaient un autre raisonnement, celui du partage des charges.

Illats, par exemple, empruntait bien cet itinéraire pour assurer ses propres transports jusqu'à la Garonne, mais faisait observer que pour un charroi issu de sa paroisse, sa portion de chemin en voyait passer 10 ou 15 peut-être venant des paroisses de Saint Symphorien, Balizac et Landiras.

Et de ce fait estimait évidemment que ces autres utilisateurs devaient venir l'aider aux travaux d'entretien à proportion de leurs emprunts de l'itinéraire, ce que les intéressés contestaient, bien sûr, au nom de la règle établie : chacun chez soi. Et sur ce point, les services de l'Intendance, souvent sollicités, sont toujours restés inflexibles.

Vous imaginerez sans peine tous les conflits qui on pu naître de ces situations. Il se sont d'ailleurs perpétués jusqu'au cours du XIXème siècle lorsque le Département a fini par prendre en charge l'entretien des chemins dits "d'intérêt commun."

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     Comment s'organisaient ces travaux de voirie ? 17

On pourra se demander comment se décidaient et s'organisait ces travaux dans les villages qui ne disposaient d'aucune institution administrative permanente. C'est en effet la Révolution qui a inventé les communes et les a dotées d'institutions locales de décision avec un Maire et un Conseil Municipal.

Auparavant il n'existait rien de tel, sauf dans le domaine religieux pour administrer la gestion de l'église.

En matière de voirie, l'initiative pouvait parfois être spontanée, lorsque les habitants se rendaient compte que l'état d'un chemin devenait trop déplorable. Elle pouvait également venir de pressions extérieures de la part, par exemple des autres paroisses concernées par son utilisation. 

En ce cas, et faute d'interlocuteur institutionnel tel que le sera plus tard la Commune, les intéressés pouvaient s'adresser à l'Intendant, voire à la Justice Seigneuriale du lieu en leur demandant d'intervenir en tant que de besoin.

Dans tous les cas où ces travaux n'étaient pas spontanément engagés, les villageois décidaient la convocation de ce que l'on appelait une Assemblée Capitulaire.

Pour cela, par un document établi par un notaire, il fallait demander à l'Intendant, à Bordeaux, l'autorisation de réunir cette Assemblée. Cette autorisation revenait tout aussitôt avec une rapidité qui nous parait spectaculaire. 

L'Administration Royale avait, en ce temps là, une réactivité bien propre à nous surprendre.

Si, par exemple, à Balizac, on demandait au notaire de rédiger la demande d'autorisation un dimanche, à la sortie de la messe, quelqu'un partait à Bordeaux à cheval le lendemain aux aurores et rapportait la réponse souvent dès le mardi, au plus tard le mercredi.

Il n'est pas du tout certain qu'avec nos moyens de communication actuels nous soyons à même d'obtenir de la Préfecture une autorisation administrative dans un même délai.

Cette autorisation ainsi obtenue, dès le dimanche suivant, toujours à la sortie de la messe, on sonnait la cloche de l'église pour convoquer l'Assemblée qui se tenait généralement dans le cimetière.

Là se réunissaient les notables du village, entendez surtout ceux qui payaient le plus d'impôts, ainsi que le notaire dûment convoqué pour enregistrer dans un procès verbal les conclusions du débat et la désignation, à la majorité des voix de ce que l'on appelait un" syndic" choisi parmi les habitants du village.

Ce syndic se voyait expressément chargé d'organiser au mieux les travaux nécessaires et d'en répartir la charge entre chacun des villageois en fonction de leurs capacités (nombre d'hommes à la maison, attelage ou pas, etc. …)

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     La corvée royale.   18

Il ne restait plus qu'à exécuter les travaux, après quoi, la mission terminée, le syndic rentrait dans le rang jusqu'à ce qu'une autre décision soit à prendre, dans un autre domaine, et bien souvent avec un autre syndic désigné par une autre Assemblée.

L'entretien des chemins locaux ne dispensait pas pour autant les villageois de participer à l'entretien des ouvrages et chemins royaux.

Nous avons vu que l'Administration était dotée d'un encadrement technique, au demeurant peu étoffé, mais dépourvue de personnel d'exécution susceptible de réaliser les travaux nécessaires. Le service de ce que l'on appelait la Corvée Royale devait y pourvoir.

Les habitants des paroisses rurales étaient chargés, à ce titre, de fournir la main d'ouvre opérationnelle. 

A l'origine, chaque famille imposable devait fournir 6 journées de travail gratuites, chaque année, pour l'entretien des chemins et des ouvrages royaux, et 3 journées seulement si les prestataires se présentaient avec un attelage de bœufs et charrette.

Ces jours là, il fallait donc abandonner ses propres travaux et se rendre sur le lieu de la convocation pour y effectuer, pendant le temps prescrit les travaux de terrassement ou de transport définis par l'ingénieur du Roi ou son représentant.

Un usage établi voulait que ce lieu de convocation se situe au point le plus proche de la paroisse d'origine. L'Administration Royale portait le souci de ne pas trop éloigner les prestataires de chez eux. Reste néanmoins que cette servitude était lourde.

Au surplus, ce système fonctionnait mal. En effet, les riches propriétaires voyaient d'un très mauvais œil leurs domestiques agricoles déserter leurs exploitations pour aller travailler sur un chantier public. Bénéficiant d'appui de complaisance, ils s'arrangeaient pour faire exempter leur personnel de ces corvées.

Seuls répondaient donc aux convocations les pauvres bougres qui n'avaient trouvé aucun appui pour s'en faire dispenser. A ce jeu là, les paroisses réunissant quelques riches exploitations se tiraient beaucoup mieux d'affaire que les autres. Ainsi Sauternes avait-il un sort plus enviable que Balizac.

Nous disposons même d'un cas chiffré concernant précisément Sauternes. A l'occasion d'une convocation sur un chantier, on aurait dû voir se présenter un certain jour 39 bouviers et 200 journaliers. Or, il ne se présenta que 13 paires de bœufs et 58 hommes et l'Agent Voyer, dans une lettre s'en plaignit auprès de l'Intendant. C'est d'ailleurs ainsi que l'anecdote nous est parvenue

Tous les autres, absents, bénéficiaient de dispenses plus ou moins complaisantes. Et le cas était bien loin d'être isolé. Cette situation était bien connue en haut-lieu. Alors, que faire ?

Eh bien, faute de pouvoir mettre de l'ordre dans ces exemptions abusives, l'Administration décida, tout simplement , en 1757 de doubler la contrainte de la corvée royale en la faisant passer de 6 à 12 jours par an, ou à 6 journées d'attelage.

Eh, bien entendu, le poids de cette obligation nouvelle ne porta que sur les épaules de ceux qui, faute d'appui, ne pouvaient prétendre aux dispenses privilégiées. C'est avec ce genre de décision que l'on prépare, sourdement, les révolutions à venir.

Au résultat de tout ceci, les chemins, à peu près partout, étaient mal entretenus et parfois même impraticables. C'était le cas, par exemple du Grand Chemin Royal entre Langon et Bazas dont on nous dit qu'il était coupé de fondrières.

Et bien souvent, les premiers à s'en plaindre étaient ceux-là même qui faisaient tout pour obtenir des exemptions de complaisance pour leur personnel.

Les magistrats du Parlement, par exemple, n'avaient de cesse de harceler l'Intendant de la Province pour qu'il améliore cette situation, mais ils étaient bien les premiers à faire dispenser de corvée royale les paysans de leurs domaines. 

Ainsi va le monde, allez comprendre …

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     Les risques de la circulation.   19

Nous avons vu combien, sur ces chemins, les transports étaient lents et difficiles. On pourrait penser, que de ce fait, les risque inhérents à la vitesse étant exclus, les accidents devaient être rares et peu conséquents. 

Il n'en est rien. Certes, leur nombre ne peut guère se comparer à ceux qu'engendre notre circulation car les conditions étaient bien différentes, mais les risques d'accident, même mortels n'en étaient pas moins réels.

Charrette versées dans les virages pentus, à la traversée du Calot par exemple, bouviers glissant sous les roues de leur véhicule, les causes en étaient nombreuses et variées. 

De tous ces accidents, je ne vous en rapporterai qu'un seul, mais il a valeur d'exemple, et au surplus nous en connaissons tous les détails

Nous sommes le 10 septembre 1755 vers les 5 heures du soir. Lazare Desqueyroux, habitant de Sauternes, rentrait chez lui, à cheval, revenant d'un voyage à Saint Symphorien qu'il avait fait la veille.

Il était accompagné de son demi-frère Bernard Dugoua. Parvenu entre Mouliey et Triscos, ils approchaient du carrefour de leur route avec "lou camin dou bin" que les textes de l'époque appellent aussi quelquefois "lou camin moulian".

Il faut rappeler qu'en ce temps là, le chemin venant de Saint Symphorien passait entre Mouliey et Triscos, se situant à environ 200 mètres à l'ouest de son tracé actuel et ressortait de Triscos à hauteur du Bigney pour filer vers le gué de la Houn Roubillouse et de là vers le Hat.

Quant au Camin dou Bin, il passait par Mouliey, coupait le chemin de Saint Symphorien à angle droit avant d'entrer dans Triscos et de poursuivre son trajet jusqu'à La Ferrière par le tracé que nous lui connaissons encore.

Ainsi donc, Desqueyroux approche du carrefour, devisant avec Bernard Dugoua. Ils aperçoivent alors une charrette chargée de grains, tirée par des bœufs, qui vient à leur rencontre sur le même chemin. 

Laissant les bœufs aller leur train, parce qu'ils devaient connaître le chemin, le bouvier marchait derrière sa charrette en parlant avec une femme qui l'accompagnait.

Dans ce chemin à voie unique, il n'y avait pas la place nécessaire à un croisement. Desqueyroux met alors son cheval au galop pour arriver le premier au carrefour des deux chemins, là où il aperçoit suffisamment d'espace libre pour éviter l'attelage. 

Mais son cheval était aveugle, et, faisant un écart, juste devant les bœufs, il désarçonne son cavalier . A partir d'ici, laissons parler le texte qui nous rapporte l'événement.

"duquel Desqueyroux tomba sur le sol et fut soudain entre les bœufs, couché de ventre de bas, lesquels bœufs allaient toujours leur train. Une roue de laditte charrette lui passa dessus les deux épaules et le tout fut si vitement fait que ledit Dugoua (son demi-frère) ni le bouvier n'eurent le temps de porter aucun secours à ce coup fatal. Et quand ils eurent rejoint ledit Desqueyroux, à peine pouvait-il parler, (et) quand on le releva, il dit seulement qu'il était mort. Lui ayant présenté du vin qu'on fut cherché à Mouliey, il ne put en avaler et expira dans le moment."

On courut tout aussitôt chercher le maître chirurgien qui habitait alors au bourg de Balizac afin de procéder aux constatations d'usage, lequel, dans le procès verbal de sa visite déclare ;

"procédant à la visite dudit cadavre, j'ai remarqué la première vertèbre du col toute fracturée ; de plus, j'ai remarqué qu'une roue d'une charrette  ferrée lui a traversé les deux omoplates où l'empreinte des clous de ladite charrette m'ont parus sur ces omoplates et je juge que ledit cadavre par la chute qu'il a fait de tomber par terre s'est fracturé la vertèbre du col (ce qui a) causé sa mort, et que la roue de la charrette l'a aidé à mourir …."

La cécité du cheval semble bien avoir été la cause déterminante de ce dramatique accident. Peu importe au demeurant. 

Je voulais seulement vous montrer que les dangers de la circulation ne datent pas d'aujourd'hui et que nos ancêtres n'en étaient pas à l'abri.

C'est au cours de la seconde moitié du XIXème siècle que les routes ont commencé à prendre la place des chemins de Balizac et que le tracé des itinéraires, au prix de bien des polémiques, a fini par devenir celui que nous connaissons aujourd'hui.

Mais ceci est une toute autre histoire.

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Jean DARTIGOLLES.

   

Réalisée le 12 juillet  2009

 André Cochet

Mise sur le Web le     juillet  2009

Christian Flages

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