Une filleule de Bordeaux ....

           

Rions.

Chapitres :

Préface.

Période avant 1789.

Période révolutionnaire.

 Variétés.

Une élection municipale mouvementée.

Une lettre du dernier seigneur de Rions à la Jurade.

Fête de la Fédération.

L'Abbé de Mondenard.

Proclamation de la République.

Échos de la mort de Louis XVI.

Levée en masse.

Perspective de famine.

Formation d'un Comité de Salut public.

Les réquisitions.

Fête de souveraineté du peuple.

 

 

 

Période révolutionnaire. 

 

 

 

 

Le 4 juillet 1789, un comité se forme à Rions sous le nom de Comité permanent de la Ville et juridiction de Rions ; la décision suivante est aussitôt prise :

 Le Comité permanent de la Ville et juridiction de Rions, désirant transmettre aux citoyens futurs de la Ville tous les actes et arrêtés qu'ont suggérés à ses membres le sentiment patriotique, l'amour de la liberté, qu'ils ont cherché à concilier avec le respect des lois, l'avantage inappréciable de la paix et de la tranquillité, a arrêté que, en raison de la grande et importante Révolution qui s'opère dans le Royaume, un livre spécial sera régulièrement tenu à joui , sur lequel livre seront littéralement transcrits et enregistrés tous les faits et gestes de la vie civile ; ce registre restera comme un monument authentique des sentiments d'adhésion des membres du dit Comité aux décrets qui vont régénérer l'empire (sic) français.

Signé : BASSET.

 

Une élection municipale mouvementée.

 

Suivant un décret de l'Assemblée nationale du 14 décembre 1789, promulgué par le Roi le 18 du même mois, des élections municipales devront avoir lieu à Rions le 7 février 1790.

L'Administration communale, dit le décret, sera composée du Maire, de cinq Officiers municipaux et d'un Procureur, ce dernier formant le Conseil de la commune.

Rions ayant moins de 3.000 habitants, les électeurs étaient divisés en deux catégories : les citoyens actifs et les citoyens éligibles.

Pour être citoyen actif, il fallait :

  1. Être français ;

  2. Majeur de vingt cinq ans ;

  3. Domicilié de fait dans ce lieu depuis au moins un an ;

  4. Payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ;

  5. N'être point en état de domesticité, c'est à dire de serviteur à gages.

Étaient exclus : les faibles, les banqueroutiers et les insolvables.

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Pour être éligible à l'Administration municipale, il fallait :31

  1. Être membre de la commune à laquelle la Municipalité appartenait ;

  2. Réunir aux qualités de citoyen actif, détaillées ci dessus, la condition de payer une contribution directe plus forte, montant au moins à la valeur de dix journées de travail.

Tous les membres de la Municipalité étaient élus au scrutin secret, à la pluralité des voix. 

Le Procureur de la commune, nommé pour deux ans comme le Maire et les Officiers municipaux, pouvait être réélu. Le Procureur était chargé de suivre les affaires de la commune et d'en défendre les intérêts ; il avait son bureau particulier dans la salle de délibération ; sa voix n'était pas délibérative ; elle était seulement consultative.

Les notables n'étaient appelés que pour les affaires importantes.

Avant d'entrer en exercice, le Maire et les autres membres du Conseil étaient tenus de prêter le serment de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution et d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et enfin de remplir dignement leurs fonctions avec zèle et ponctualité.

Conformément au décret de l'Assemblée nationale, des élections eurent lieu à Rions le 7 février 1790.

Le nombre des électeurs était ainsi composé : Soixante neuf citoyens actifs et cent trente huit citoyens éligibles.

Tout d'abord, il fut procédé à l'élection du Maire.

 Jacques Hippolyte Lucat fut élu par cent trois voix contre dix sept données à son concurrent Basset. Les notables inscrits étaient : Lacouture, Collas, Jean Gassiot, Milliac, Jean Briol dit Menau, Jean Salin de la Pradiasse, Jean Arnaud d'Aniche, Laville, Louis Bérard, Guillaume Videau, Jean Arnaud dit Gogus et Jean Descomps père.

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Léon Pallote fut élu procureur de la commune.

La nomination des jurats n'avait jamais, sauf en un seul cas, donné lieu à aucun incident ; il n'en devait pas être ainsi cette fois, bien que les électeurs aient eu eux-mêmes le choix de leurs candidats.

Le Maire et le Procureur ayant été seuls nommés le 7 février, la commune eut à compléter l'élection le dimanche suivant, 14 février ; c'est alors que les sieurs Bordes, Delerm, Chauveau, Delbos et Desbats furent élus.

Les résultats de cette élection furent très mal accueillis par la population ; l'élection elle-même fut l'objet de violentes contestations.

Le mécontentement était général ; on s'insultait dans la rue ; de nombreux procès-verbaux s'en suivirent et même quelques emprisonnements.

Un groupe de citoyens se réunirent et, après s'être concertés, les nommés Pierre Duprat, Guillaume Videau, Laurent Pallote, Raymond Labat, Léon Fitte, Pierre Duvigneau, Joseph Belloc, Jean Bouchardeau, Lamy Cadet, François Duprat, Jean Descomps, Pierre Gassiot, Michel Bouchardeau, Pierre Paperas, Pierre Massé, Jean Flamand, Jérôme Loste, Jean Duvigneau, Jean Milliac, Bernard Duprat, Jacques Bouchardeau, tous citoyens actifs, électeurs et éligibles de la ville et paroisse de Rions, se rendirent chez le Maire, Hippolyte Lucat, qu'ils requirent immédiatement de recevoir leur déclaration, protestation e r réquisition.

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Tout d'abord, ils déclarèrent approuver la nomination faite le 7 février, du Maire et du Procureur de la commune. Puis, ils désapprouvèrent et révoquèrent de tout leur pouvoir la nomination, le 14 février, des sieurs Bordes, Delerm, Chauveau, Delbos et Desbats, comme étant entachée d'illégalités, pour divers motifs énumérés dans la protestation ; ils en appelaient à l'Assemblée nationale et au Roi, pour l'annulation de l'élection en question.

Et, formellement, ils insistèrent pour que la présente protestation fût envoyée tant à l'Assemblée nationale qu'au Ministre de Sa Majesté.

Le Maire dressa aussitôt procès- verbal conforme à la déclaration et fit signer ceux qui savaient écrire ; signèrent :

Léon Pallote. Duvigneau. Fitte. Labat. Duprat. G. Videau. Lamy Cadet. J. Bouchardeau. Belloc. Descomps.

Le Maire signa à son tour : Lucat, Maire.

Le 20 mars 1790, la Commune s'était assemblée dans l'ancienne église des Cordeliers le régiment patriotique de Rions, réuni pour la circonstance, prêta devant le Maire et les notables le serment d'être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi.

  Notes :  L'Hôtel de Ville menaçant ruine, les réunions avaient lieu soit dans l'église des Cordeliers, soit dans l'église paroissiale, quelquefois même dans la Chambre du Conseil du seigneur. 

Un Te Deum fut chanté après la cérémonie.

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Les cinq Officiers municipaux dont l'élection était .contestée, n'ayant pas été convoqués, dit on, exprimèrent leur vif mécontentement au colonel Laville ;celui ci rassembla de nouveau ses hommes et se disposait à leur faire prêter le serment une seconde fois, lorsqu'ils déclarèrent unanimement que, d'accord avec la population, ils ne voulaient point reconnaître les sieurs Bordes, Delerm, Chauveau, Delbos et Desbats comme officiers municipaux ; au contraire, ils demandèrent avec insistance l'annulation de leur élection.

Sans attendre la décision de l'Assemblée nationale, la Commune, de sa propre autorité, fit procéder à de nouvelles élections le 18 avril 1790. Belloc, Bouchardeau, Davigneau de Bouit, Jean Fitte et Jean Salin de Pujols, obtinrent alors la majorité des suffrages.

Ils furent immédiatement déclarés officiers municipaux et, vers les neuf heures du soir, ils prêtèrent serment. Les cinq Officiers contestés se présentèrent pour protester ; on les força violemment de se retirer.

Le 25 avril suivant, eut lieu la nomination des notables.

La Commune s'étant réunie, le sieur Delbos, l'un des officiers contestés et qui déjà avait consenti à démissionner, déclara avoir donné des bulletins pour se faire nommer avec Delerm, Chauveau, Bordes et Desbats et avoir porté lui-même ces bulletins, ayant cru en avoir le droit.

Trente six particuliers, présents à la réunion, donnèrent aussi une déclaration par laquelle ils attestaient avoir reçu des bulletins de Chauveau fils, de Desbats, de Delbos, de l'abbé de Mondenard, vicaire de la paroisse, et du chanoine de Parouty, sur lesquels bulletins étaient portés les noms de Delerm, Chauveau, Bordes, Delbos et Desbats.

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Quand la séance fut terminée, le colonel Laville fit ranger ses hommes sur deux lignes, à droite et à gauche, depuis la porte du Lhyan jusqu'à la chambre servant d'Hôtel de Ville et près de la maison de la demoiselle veuve Dissac.

  Notes : Avant la Révolution, le titre de dame ne s*appliquait qu'à des personnes d'un rang élevé.

Le second colonel, Lamy Ferrié, vint ensuite prendre le Maire et les Officiers municipaux pour les conduire, avec une escorte, jusqu'à la chambre de délibération.

Le Maire requit alors le colonel Laville d'aller réclamer à Mathurin Delerm le registre de ville et le coffre qu'il avait en sa possession comme secrétaire. Delerm ayant déclaré au colonel qu'il n'avait pas l'intention de résister, celui-ci revint à la chambre rendre compte de sa mission.

Le Maire se rendit chez Delerm avec deux Officiers municipaux et une escorte de grenadiers ; il reprit le livre de ville et le coffre et vint les porter à la Maison commune.

Quatre des Officiers municipaux remplacés ne voulurent point s'incliner devant le résultat des nouvelles élections ; ils adressèrent d'abord une plainte au district de Cadillac et ensuite à l'Assemblée nationale ; cette dernière annula, par un décret, les élections du 18 avril et ordonna à la Commune de reconnaître et d'admettre dans toutes les formes, en qualité d'officiers municipaux, les sieurs Bordes, Chauveau, Delerm, Delbos et Desbats.

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La Commune opposa un refus formel, même après des menaces.

On fit alors venir de la cavalerie de Bordeaux, des brigades de maréchaussées, des troupes patriotiques des paroisses voisines (celles de Cardan, de Villenave, de Béguey, de Cadillac, de Paillet, de Lestiac et de Langoiran), ce qui formait un ensemble d'environ trois mille hommes.

Devant un tel déploiement de forces, la Commune, mise en demeure, persista à ne point vouloir reconnaître les Officiers municipaux qu'elle considérait comme illégalement élus.

Les troupes de répression étaient commandées par le généralissime duc de Durfort, qui essaya tous les moyens d'intimidation possibles ; les Rionnais restèrent inébranlables dans leur résolution, et, pour toute réponse, ils firent savoir qu'ils se laisseraient plutôt tous fusiller que de céder.

Le duc de Durfort, comprenant qu'il ne pourrait rien obtenir d'hommes aussi résolus et ne voulant pas en venir à des extrémités regrettables, donna l'ordre de dislocation, et les troupes se retirèrent.

Le parti du Maire obtenait satisfaction, mais la situation de la Commune restait critique et fort embarrassante ; à moins de passer complètement à l'état de rébellion, il fallait, sans plus tarder, se soumettre au décret de l'Assemblée nationale ; or, ce décret, non seulement annulait les élections du 18 avril, mais, de plus, ordonnait la réintégration, dans toutes les formes, des officiers municipaux contestés.

Hippolyte Lucat, voyant qu'il n'y avait pas à tergiverser, annula l'élection du 18 avril et procéda sans plus de retard à la réintégration des cinq officiers municipaux. 

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Le régiment patriotique prêta le serment selon l'usage, mais avec des réserves, comme l'autorisait la loi. Il n'y eut pas d'incident.

Alors la Commune, usant du droit que lui conférait le décret, se pourvut contre les Officiers municipaux dont elle repoussait la nomination.

Peu après, le 3 octobre 1790, Fisson, député à la Constituante, écrivit aux officiers rétablis, leur conseillant de se démettre, d'autant, disait-il, que leur élection était entachée et qu'ils seraient blâmables de persister plus longtemps à se maintenir dans leur charge.

Tout sujet de contestation et de trouble n'était pas encore écarté ; il fallut une élection nouvelle pour ramener définitivement le calme dont la population était privée depuis bientôt un an.

Sur un décret de l'Assemblée nationale, l'élection eut lieu le quinzième jour de novembre 1790.

Le scrutin se prononça de nouveau en faveur des élus du 18 avril : les sieurs Belloc, Bouchardeau, Duvigneau, Jean Fitte et Jean Salin de Pujols réunirent la majorité des suffrages ; leur nomination fut accueillie avec enthousiasme.

Le Maire les reçut en grande pompe à la Maison commune, où il prononça l'allocution suivante

Messieurs,

Animés par les sentiments qui font connaître les hommes, vous avez eu le courage et la force de soutenir le choix que vous ayez fait en ma faveur ; vous avez combattu pour la justice, nos adversaires sont tombés dans un chaos d'humiliations.

Que ferais-je, mes chers amis, mes chers compatriotes, pour vous exprimer ma reconnaissance ?

Je n'ai qu'un coeur, mais un coeur sincère dévoué au service

de la patrie et au maintien de la Constitution, cause de tant de transes pour nos législateurs. Je m'en trouverais flatté si en ma place, demain ou tout autre, je pouvais être utile à mes concitoyens ; ce serait avec le zèle le plus grand et l'amour le plus pur que j'en saisirais l'occasion.

Mon amitié sincère et mon affection ne se démentiront jamais ; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour mériter la continuation de votre estime.

  Notes :  Livre de raison, d'Hippolyte Lucat, si gracieusement cominuniqué par notre collègue et ami Michel Coquet. ) Neveu d'Hippolyte Lucat, Officier d'instruction publique, conseiller municipal de Rions.

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Une lettre du dernier seigneur de Rions à la Jurade.

Dans les archives d'Hippolyte Lucat, pieusement conservées par notre honorable collègue et ami Michel Coquet, se trouvait une lettre du marquis de Sallegourde, dans laquelle ce seigneur revendique en termes précis la propriété de la halle ; cette lettre, qui est de la main même du marquis, est adressée à la Jurade.

La voici dans toute sa teneur :

Villenave, 17 février 1791.

Messieurs,

La halle en question m'appartient ou appartient à la Commune, c'est ce qu'il faut décider ; si elle est à moi, je la trouve très bien telle qu'elle est. Si elle est à la Commune, qu'elle la fasse accommoder.

Les revenus que j'en ai tirés m'appartiennent de droit, je n'ai aucun compte à rendre là dessus.

Pour ce qui regarde la litre que j'ai fait mettre autour de l'église lors du décès de mon frère, je ne puis empêcher qu'on ne l'efface de force ; il pourra arriver un jour que ceux qui l'auraient fait effacer soient forcés de la remettre à leurs dépens et on ne peut attaquer que le Maire d'à présent.

Je suis, Messieurs, tout à vous.

Le Marquis Raymond de Sallegourde.

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Fête de la Fédération.

Il nous faut revenir quelques mois en arrière, c'est-à-dire jusqu'au 11 juillet 1790, pour assister aux préparatifs de la fête de la Fédération. 

Dans une réunion tenue le 11 juillet 1790, le procureur Pallote rappelle que le 14 « le monarque sera couronné Empereur (sic) des Français ».

Il en est alors décidé qu'un autel sera dressé sur la place d'Armes et que la permission sera demandée aux vicaires généraux d'y laisser chanter la messe par l'aumônier du régiment patriotique.

Le 15 juillet, le Procureur de la Commune fit en ces termes un compte rendu de la fête de la veille : .

Nous ne devons pas laisser ignorer à notre postérité que nous avons célébré hier, 14 du présent mois, la fête solennelle de la Fédération, en vertu du décret de l'Assemblée nationale. Tout fut fait à la satisfaction du public, qui couronna la fête par de nombreux cris de : « Vive la Nation ! et vive le Roi ! »

Aussi celui qui parle requiert que la description en soit établie sur le livre de ville, ce à quoi les Officiers municipaux ont déféré avec d'autant plus de plaisir que tout s'y était passé dans un ordre parfait, avec toute la décence désirable.

La messe du Saint Esprit fut chantée dans l'église des Révérends Pères Cordeliers de cette ville par l'aumônier du régiment patriotique ; à l'issue de la messe, l'aumônier fit un discours à même de toucher les coeurs les plus insensibles.

On se rendit ensuite au Ch0amp de .Mars, où une chapelle avait été installée ; cette chapelle fit l'admiration non seulement des personnes de l'endroit, mais aussi des étrangers qui sont venus pour la voir.

Le Te Deum fut chanté par le curé ; le vicaire aussi était présent. Ils prêtèrent, en même temps que la Commune, le serment civique ; c'était, semblait-il, une nouvelle régénération.

Le sieur Des Essarts, major du régiment, fit également un discours très beau et très sensé. On dîna sur la place, qui fut tentée par les soins de Raymond Labat, syndic du port de Rions, qui mérite d'être félicité pour le zèle et l'adresse qu'il déploya en la circonstance.

Il y avait au moins, en deux tables et sur deux lignes, plus de cinq cents personnes et pas une seule femme ; tout fut rangé de la façon la plus satisfaisante ; la joie, l'aisance, la liberté se reconnaissaient et paraissaient empreintes sur chaque individu.

Les pauvres comme les riches y étaient sans gêne. Il y avait énormément de viande et plus d'un tonneau de vin pour les pauvres.

À chaque instant retentissaient les cris de : « Vive la Nation Vive le Roi ! »

Après le repas, la danse succéda au plaisir de la table et, par idée de vivacité, nous fûmes, en nous tenant par la main, danser des rondeaux sur la Pêche, (Bord de la rivière, en face de Podensac.) pour faire connaître aux patriotes de Podensac, nos voisins, l'effet qu'avait produit en nous le décret de l'auguste Assemblée nationale.

Par une seule ligne, nous tenions depuis la Pêche jusqu'à Coulladan.

Nous fûmes tous réunis dans cette mémorable journée d'hier ; il ne fut pas possible d'y connaître un seul individu indifférent, ou en état de soutenir le moindre sentiment hostile contre qui que ce fût.

Sur le soir, les femmes et les filles vinrent souper sur la même table où nous avions dîné ; elles furent servies par les cavaliers, avec ce mouvement naturel, sans distinction d'ordre ni d'état.

Enfin, avec une facilité des plus simples, tout annonçait une amitié générale et un désir des plus grands à se donner les marques d'une inviolable fraternité.

Les illusions du Procureur de la Commune ne devaient pas être de longue durée.

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L'Abbé de Mondenard.

 

Les rapports de l'Administration municipale devenaient chaque jour de plus en plus tendus, non pas précisément avec M. le curé Lafore, qui était très âgé, mais plutôt avec son vicaire, M. l'abbé de Mondenard, qui était jeune, énergique et assez vif.

Or, il arriva qu'un dimanche, en chaire, M. de Mondenard prit à partie la Municipalité et la critiqua vertement.

Aussitôt après la messe, les jurats tinrent Conseil, et l'ordre fut envoyé au vicaire de se rendre immédiatement à l'Hôtel de Ville pour donner des explications.

 « Dites leur que cela ne me plait pas, » dit-il à l'envoyé de la mairie.

Le major du régiment patriotique, fut alors réquisitionné et dut fournir sur le champ un officier et douze grenadiers pour emmener de force le vicaire à la Mairie.

Les amis du vicaire, ainsi que quelques femmes bien décidées, les attendaient au presbytère et les reçurent à coups de bâton.

Menace alors fut faite de réquisitionner le régiment patriotique tout entier ; mais M. de Mondenard, pour éviter un plus grand scandale, consentit à venir s'expliquer devant le Maire ; tout se termina par un procès-verbal relatant le fait. 

Peu après, c'est-à-dire en avril 1791, un officier municipal se rendit auprès de M. le curé Lafore pour l'inviter à prêter le « serment civique » ; le curé resta confiné dans son appartement, le vicaire seul se montra et dit «qu'il verrait ».

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Une plainte fut alors portée par la Municipalité au district de Cadillac ; le 14 mai, défense était faite au clergé de Rions de dire la messe et il lui fut ordonné de céder l'église à un prêtre constitutionnel.

Ce dernier arriva le 15 du même mois ; il se nommait Blaise Pellegrin ; il prit immédiatement possession de l'église et du presbytère, que le curé et le vicaire durent quitter.

Voici, à titre de curiosité, la teneur du certificat de « civisme », tel qu'il fut délivré au « citoyen Blaise Pellegrin, curé constitutionnel de Rions » :

"Nous, Maire et Officiers municipaux de la commune et paroisse de Rions, assemblés en Conseil général dans le lieu habituel de nos séances, certifions à tous ceux à qui il appartiendra que le citoyen Blaise Pellegrin a donné depuis la Révolution des preuves de son civisme et qu'il doit être regardé comme un bon républicain ; en foi de quoi, nous avons signé avec le dit Blaise Pellegrin.

Fait à Rions, le 21 frimaire an Il de la République, une et indivisible."

Laville, Maire. Gassiot et Duvigneàu, Officiers Municipaux. Pellegrin, Notable, Officier Public.

Le 24 septembre 1.792, le curé Pellegrin prêtait serment d'être «fidèle à la Nation, de maintenir la liberté et l'égalité et de mourir en les défendant ».

Il fut alors considéré comme notable et officier de l'état civil et devait assister à toutes les délibérations qui seraient prises dans la suite.

L'abbé de Mondenard émigra avec quelques personnes de Rions ; il passa en Espagne.

Quant à M. Lafore, qui était curé de Rions depuis cinquante deux ans et qui venait d'atteindre sa quatre vingt troisième année, il finit ses jours dans la retraite.

Blaise Pellegrin donna sa démission le 14 floréal an II, et la paroisse resta sans curé jusqu'en 1803, époque du rétablissement du culte catholique dans la commune.

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Proclamation de la République.

 

Le 30 septembre 1792, à 3 heures du soir, les Officiers municipaux, le Procureur de la Commune, les notables, escortés d'une compagnie de volontaires en armes, se réunirent au lieu appelé Le Canton, pour se rendre ensuite place d'Armes afin d'entendre le décret de l'Assemblée nationale du 21 septembre, décret qui déclarait l'abolition de la royauté en France et, par ce fait, proclamait la République.

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Échos de la mort de Louis XVI

 Nous arrivons au commencement de l'année 1793 ; Louis XVI a péri sur l'échafaud ; cette mort frappe de stupeur la population rionnaise ; une longue suite de témoins sont mandés devant le Maire pour être interrogés sur certaines paroles qu'ils ont entendu prononcer par des habitants indignés.

 Voici quelques unes de ces dépositions

 Ah ! le pauvre Roi, il est donc mort ! Nous sommes perdus ! Il eût mieux valu qu'on eût fait périr le Roi dans un lieu de basse-fosse que de l'avoir tué ! etc., etc.

On ignore si les auteurs de ces réflexions furent notés comme suspects.

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Levée en masse.

L'exécution de Louis XVI provoqua la première coalition européenne et les premiers mouvements de la Vendée ; la Convention décréta sur le champ une levée en masse de trois cent mille hommes ; la commune de Rions dut fournir quatre hommes.

Deux cent douze citoyens, réunis à cet effet dans l'église des Cordeliers, décidèrent qu'il valait mieux voter pour désigner ces quatre hommes plutôt que de tirer au sort, comme quelques uns l'avaient tout d'abord réclamé.

Beaucoup s'abstinrent de voter (il y eut cent vingt deux abstentions). Les citoyens suivants furent désignés :

Jean Bourdelles, par  69 voix.

Basset,                        51   "

Dabat,                         49    "

Arnaud,                       46    "

Une branche de lauriers fut remise à chacun d'eux.

Il devait exister à ce moment là une certaine effervescence, et toute la population ne partageait peut être pas les idées de ceux qui, précédemment, s'étaient juré une fraternité inviolable.

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Perspective de famine.

Tous les troubles survenus à cette époque firent négliger l'agriculture ; la famine menaçait de se faire sentir ; le pain devenait de plus en plus cher et se vendait 10 et 11 sols la livre ; la livre de viande se payait 25 sols.

Sur le Livre de raison, d'Hippolyte Lucat, qui fut maire de Rions de 1790 à 1792, on lit ceci, à la date du 26 germinal an Il :

Voilà trente un jours que l'on n'a pas vu un morceau de pain dans la commune ; la population se nourrit d'herbages.

Les tètes se montent ; deux placards contre les boulangers sont affichés : l'un sur la porte du Lhyan ; l'autre, sur les murs du clocher ; on menace de brûler leurs maisons si des mesures rigoureuses ne sont prises dans les vingt quatre heures.

La Municipalité décide alors qu'une somme de 20.000 livres sera empruntée par la Commune à un ou plusieurs particuliers pour aller au dehors acheter de quoi faire du pain.

Deux Officiers municipaux sont chargés de réaliser cet emprunt. Alors apparaît une association dite « Société populaire », chargée de surveiller la fabrication du pain fait de blés et farines achetés avec l'argent emprunté par la Municipalité.

Dans l'espace de trois mois, les boulangers fabriquent et distribuent en pain 77 boisseaux un quart de seigle et milliade, achetés sur les marchés de Bazas, Villandraut et Saucats.

Cent huit boisseaux de blé avaient également été achetés ailleurs, à raison de 30 livres le boisseau.

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Formation d'un Comité de Salut public.

Bien que la Municipalité ait fait ce qui était possible pour procurer du pain aux habitants, des insultes et des menaces de mort étaient chaque jour proférées contre elle ; ce furent sans doute les premières causes de la formation d'un Comité de salut public à Rions.

Le Procureur de la Commune fit afficher la déclaration suivante :

Citoyens,

"Il est de toute nécessité que les lois des 18 et 21 mars dernier soient promptement exécutées ; en conséquence, les habitants de la présente commune sont convoqués pour dimanche, dans l'église des Cordeliers, pour instituer le Comité de Salut public, aux formes prescrites par les dites lois, ainsi qu'il a été annoncé au prône par le citoyen curé.

Signé : LUCAT, procureur de la Commune."

La peur s'empare de la population ; elle sait que la guillotine est en permanence et qu'un suspect est vite emprisonné, jugé et décapité ; le régime de la Terreur allait commencer à Rions !

Nombre de citoyens s'empressent de venir réclamer à la Mairie un certificat de civisme ; il en est délivré onze dans la même journée ; deux sont refusés.

La prise de Toulon, où Bonaparte se distingua en 1793, fut accueillie avec grande joie à Rions ; il fut alors décidé de planter un arbre au milieu de la ville et de lui donner le nom d'arbre de la Fraternité.

A cet effet, la Municipalité, les notables, la garde nationale, la société des « Amis de la liberté et de l'égalité »accompagnés de jeunes filles, dont l'une représentait la Liberté avec tous ses attributs, se rendirent sur la place d'Armes, où des discours enflammés furent prononcés. La fête se termina par des feux de joie, des illuminations et de nombreux coups de canon.

A partir du jour de cette cérémonie, l'église fut transformée en «Temple de la Raison » ; Rions imitait de plus grandes villes.

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Les réquisitions.

Les réquisitions vont bientôt commencer ; tous les propriétaires sont tenus de fournir soixante quinze fagots de bordaine, sanguin ou noisetiers, pour la fabrication du charbon pour les poudres.

Puis viennent les chevaux, les charrettes, le foin, la paille, les barriques pour le lessivage des cendres, les sacs, la ferraille, les plaques de cheminée, chenets, pots, etc., etc., tout y passe ; neuf bouviers, avec leurs charrettes, transportent ces dernières matières à Cadillac.

Ensuite, vient le tour des carriers, maçons, tailleurs de pierres, scieurs de long, charpentiers de haute futaie, etc. Trois charpentiers reçoivent l'ordre de se rendre à Monségur avec leurs outils, pour se mettre à la disposition de l'agent national de cette ville.

La misère ne fait que s'accentuer à la suite de toutes ces réquisitions. Tous les jours, dans les champs, on signale de nombreux vols de pommes de terre, oignons, petits pois, fruits, etc. Des plaignants et des accusés défilent sans cesse devant le Maire, qui condamne ces derniers à des peines minimes en raison de la disette des denrées.

Jusqu'à l'an VI, plus rien qui mérite d'être rappelé.

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Fête de souveraineté du peuple

Le 30 ventôse au VI (20 mars 1798), on célèbre à Rions la fête de la souveraineté du peuple.

Le cortège se rend à la place d'Armes dans l'ordre suivant : vingt sept citoyens les plus âgés de la commune, portant chacun une baguette de bois blanc « Pour représenter le Peuple », sont suivis de quatre jeunes gens ayant chacun une bannière ; un peloton de la garde patriotique, avec le drapeau, escorte le Maire et les Officiers municipaux.

Sur la Place, était dressé l'autel de la Patrie. On chante des hymnes nationales, et l'instituteur et ses élèves mêlent leurs chant, à ceux des autres citoyens ; On crie : « Vive la République ! et on revient dans le même ordre à la Maison commune, plus de quatre cents personnes formaient le cortège.

La fête, dit le procès-verbal a été remarquable. Les citoyens Bourdelles et Arnaud d'Aniche, âgés de plus de quatre vingt ans, ont mené et servi une danse au son du fifre et des tambours, par toutes les rues et carrefours de la cité ; ensuite, on a dansé à discrétion à la Maison commune.

 

Rions préface.

 

Réalisée le 28 décembre  2005  André Cochet
Mise sur le Web le  décembre  2005

Christian Flages